• * Union antandroy

     

     

    Union antandroy

      

       Sisiny rêvasse devant les braises sur lesquelles une marmite d'antaka bouillonne. Elle guette les bruits du village. Le père est dans le parc, contemplant béatement le troupeau impatient d'aller ronger les herbacées déjà sur-broutées. La mère tresse une natte de jonc jaune et lisse, brillante dans les rayons du soleil filtrant entre les branches du tamarinier sous lequel elle est affairée.

     

       A l'est, dans un autre village, Malitera semble joyeux en regardant partir son bétail bêlant et mugissant sous la garde de son jeune frère; il fait claquer sa lanière de cuir auprès des chèvres traînardes qui, frémissantes du bouc pointu, bondissent au son du fouet comme par jeu. Le sorcier avait confirmé à Malitera qu'aujourd'hui serait le bon jour pour entreprendre sa démarche. Il foule alertement le sable chaud de la piste, se faufilant parmi les multiples variétés d'épineux qui semblent lui sourire de leurs fleurs aux teintes bien tranchées.

    Rien de pâle : soit rouge vif, soit bleu foncé, soit jaune dense, les pétales s'accommodent du soleil, ayant bu la rosée de l'aube pour maintenir leurs couleurs.

     

    * Union antandroy 

    J. Hannebicque

     

       Sisiny frémit d'aise. On parle dans le parc ; la mère s'est levée. Malitera admire le beau troupeau serré dans un foisonnement de cornes, qui s'agitent vainement pour chasser les mouches harcelantes sur leurs flancs crottés.

    -   Salama, salut toi, répond le père, feignant l'ignorance en lui demandant : « que veux-tu ici ? »

    -   Je voudrais parler à ta fille.

    -   Oh ! Sisiny, le bouillon est-il cuit ?

    -   Oui, père.

    -   Alors viens, tu as de la visite.

     

       Les parents pénètrent dans la case pour manier des cuillères d'antaka lentement avalées. Sisiny et Malitera se dévisagent en souriant.

    -   Que me veux-tu ? questionne-t-elle.

    -   Veux-tu être mon épouse ?

    -   Tu sais, j'ai déjà refusé plusieurs prétendants.

    -    Oui, mais moi, je peux peut-être satisfaire tes vœux. Quelles sont tes conditions ?

     

    Rien de sentimental dans la réponse : « il me faut trois gros bœufs à la bosse bien grasse et un mouton bien en laine.»

    -  Ils sont prêts, Sisiny.

    Elle va chercher un plat d'antaka dans la marmite. Pendant qu'il grignote, les parents, sortis, l'entourent :

    -  Qui est ton père?

    -  C'est Tendreha dont tu connais le vaste tombeau aux dix aloalo et dont le bétail, presque aussi beau que le tien, m'est revenu. C'est pourquoi je me permets de vous demander votre fille, vouvoya-t-il respectueusement.

    -  Si tu peux remplir les conditions qu'elle t'a posées, soit. Quand amèneras-tu les bêtes ?

    -  Dans huit jours au plus tard, le jour que l'ombiasy m'indiquera car je veux que notre union bénéficie du maximum de chances.

    -  Tu as raison, Malitera ; on n'a jamais assez d'atouts de son côté pour ces choses-là.

     

       Le futur gendre s'en retourne, sautillant de joie, sa sagaie pleine de reflets d'argent à bout de bras, offrant le miroir de la lame à l’astre solaire qui daigne y jeter un rayon comme pour participer au plaisir de cette infime chose terrestre qu'est un homme : Malitera.

     

    * Union antandroy

    Homme Antandroy. Dessin de Randrianarisoa Nirina inspiré de photo ancienne ethnique malgache

     

        Le village est empli de curieux le jour venu. Les bœufs bossus, dodus, le mouton gras passent entre une haie de gamins rieurs qui se poussent du coude, comme partout ailleurs.

       Devant ses futurs beaux-parents, Malitera lance un joyeux salama, pendant que le père se hâte surtout de dire à sa fille d'emmener le don dans le parc. Elle s'y prend avec dextérité, comme si les animaux étaient déjà habitués à elle. Ceci fait, devant l'assistance narquoise, le vieux lui demanda des nouvelles de son village.

    -  Oh! tout va bien chez nous ; cela ira encore mieux quand Sisiny y sera.

    -  Tu vas vite, mon gars ; je t'accorde volontiers ma fille, mais tu ne la voudrais pas d'un seul pagne vêtue ! On va lui préparer son trousseau, c'est-à-dire, d'ici huit jours tu pourras faire venir chercher ton épouse.

     

       Ils partagèrent un repas plus consistant que la première fois, les antaka, repas du pauvre, étant remplacés par du maïs agglutiné sur des morceaux de chèvre tendrement mijotes par la promise. Il s'en alla une nouvelle fois, seul, avec sa sagaie dans le soir rassurant, alors que la lune timidement essayait de mettre de l'or sur la lame argentée qui semblait l'accompagner comme une phosphorescence indépendante, au-dessus de sa tête.

     

       Parée, pour le jour prévu, d'une volumineuse ceinture de tissu rouge, des bracelets d'argent gravés à chaque poignet, des plaquettes d'argent également aux oreilles dénudées, la chevelure remontée, coiffée haute en de multiples tressettes enroulées comme des coquillages d'escargot, le cou orné de perles vertes, bleues, jaunes, comme les fleurs de son Androy, que le boutiquier a cédées de bon cœur, parce que au prix fort. 

    Ce jour-là, on ne regarde pas à la dépense. La sobika-valise bourrée de lamba neufs, un rouleau de nattes reluisantes à côté, elle attend, déjà impatiente. Mais une fine poussière au lointain, fusant comme de la vapeur parmi les raketa, calme son agacement. Ils courent, les émissaires, avec leurs sagaies ceintes de rubans rouges et noirs.

     

       Haletants, ils s'arrêtent devant le père, figé, ayant la dignité d'une statue.

       " Salama-Salama ".

     

          Tout étant convenu d'avance, ils s'emparent des bagages de la jeune mariée qui suit allègrement. Tout le village s'ébranlant à leur suite, jacassant bruyamment. Un antsiva, gros coquillage marin, diffuse des sons proches du cor à l'orée du hameau de Malitera, d'autres antsiva lui font écho pour que la nouvelle soit sue aux quatre points cardinaux.

     

     

    * Union antandroy

    Musée HN Toulouse

     

          Malitera, Antandroy aisé, a tenu à préparer les signes irréfutables de la richesse consistant à présenter une énorme marmite emplie de viande hachée, de miel, et de suif mélangé qui peut se conserver plusieurs années, un autre aussi grand chaudron contient du habobo (lait caillé) avec du miel, du mil et du son de maïs.

     Sisiny, ayant de ses grands yeux enregistre ces signes, s'en réjouit en son for intérieur. C'était mieux qu'elle ne l'eût pensé. Elle rejoignit alors le centre de la place suivie par tout son village, d'où les émanations de cuissons s'interpénétraient en odeurs de moutons, bœufs, poulets, riz, maïs, donnant le signal des agapes, du festin, pendant que Malitera, discret, veillait à tout.

     

        Mais, jusqu'aux chiens jaunes, pelés, bourrés d'os, tout le monde eut la panse rebondie et, rebondie, la pleine lune vint disperser peu à peu la foule satisfaite qui avait regardé admirativement entrer dans le parc du marié la dot de Sisiny, soit une demi-douzaine de génisses, quatre vaches et deux veaux. Un mariage très réussi.

     

        La jeune mariée entama son premier crépuscule d'épouse en versant une calebasse de l'eau sur les braises de divers foyers d'où la cendre monta en épaisse fumée qu'elle regarda songeusement, paraissant méditer sur les mœurs agrestes de l'Androy qui s'endormait sous un toit d'étoiles.

     

     

    * Union antandroy

    Juliette Delmas - Musée du Quai Branly

     

    Louis SZUMSKI

     

    Nota : Louis Szumski avait écrit "raiketa" corrigé en "raketa" par Dave Emilio

     


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