• * Entre Barabay et Kirimosy

     

       Ces deux villages antandroy qui se côtoient sont toujours en froid, pour les mêmes pâturages, qui les séparent ;  les chefs, les sorciers, quatre personnes en tout, essaient d'arrondir les angles, d'atténuer les heurts inévitables, où, troupeaux s'entremêlant pour brouter, on ne sait plus alors à qui sont les bœufs, se différenciant si peu de par leur pelage, et dont les découpures aux oreilles, au lieu de permettre aux propriétaires de les repérer, n'ajoutent qu'à la confusion, tant d'entailles il y a, que toutes les oreilles se ressemblent.

     

    Entre Barabay et Kirimosy

    terra.mg/agricom/fr

     

        Où ça n'alla pas du tout, c'est qu'au lieu de trier leurs bêtes, de compter les entailles, ils commençaient à compter du bétail en moins. Il en manquait, comme subrepticement, une génisse par-ci, un veau par-là.

    On crut même avoir décelé le coupable. Pour une fois les deux villages s'entendirent.

    « Si c'est lui, il faut le punir ». 

     

    Mais auparavant il faut le prouver. La malice brillant dans les yeux de Botra n' annonçait pas l'enquête facile.

    Son chef de village le convoqua à sa case, discrètement. Botra subodorant de la méfiance à son égard par ce procédé, se méfia lui aussi. Pourquoi ne pas parler tout simplement au cours d'une rencontre, comme il y en a tant, sous un kily, dans le pâturage !

    Il y alla. « Tiens, assieds-toi. »

    La natte reçut son postérieur pendant que le chef le questionna tout bêtement :

    « Qui a pris le bétail qui manque ? 

    -  Ha ! ça n'est pas moi.

    -  Alors ce n'est pas toi !"

     

    Entre Barabay et Kirimosy

    Revue de Madagascar 1934

     

      Le sorcier, désœuvré, s'étant approché, ayant pénétré délibérément dans la case où il était comme chez lui, s'assit en mâchouillant une pâte, salivant. Le chef regarda interrogativement le sorcier impassible.

    Botra se leva pour partir. « Si c'était cela que vous vouliez savoir, je vous ai répondu.» Il sortit.

    -  Ce n'est pas lui, dit le chef au sorcier.

    -  Qu'il dit, et, si c'était lui quand même !

    Comment savoir, ne rien brusquer était la règle.

     

      Le chef rencontra son confrère de l'autre village : « Eh ! oui, Botra dit que ce n'est pas lui, mais le sorcier dit que ce pourrait quand même être lui".

    « Ainsi, rétorqua le chef consulté, on ne saura jamais qui c'était !»

     

    Ils se séparèrent. Le chef consulté alla voir son sorcier, peu curieux, vieillissant, mais encore valable pour des sentences toujours judicieuses parce qu 'il y avait le poids de son expérience ayant plusieurs fois vingt ans.

    -  Voilà, Ombiasy, le chef d'à-côté a interrogé Botra pour savoir qui a volé le bétail, Botra a répondu que ce n'était pas lui et leur sorcier dit que ce pourrait quand même être lui ! Ça fait que je pense qu'on ne saura jamais qui c'est !

    -  Exactement, marmonna le vieux sorcier lucide.

     

    Entre Barabay et Kirimosy

    mlecoq34.wixsite.com/michel lecoq

     

    Les disparitions de bétail continuèrent.

    Botra tracassé par la convocation du chef, alla voir son sorcier pour qu'il lève le tourment qui le taraudait, parce qu 'on le soupçonnait de voler des bœufs.

    -  Mais voles-tu réellement ?

    Quoi ! dire la vérité à ce vieux, pensa-t-il :

    -  Non, je ne vole pas, je veux juste que tu me donnes un fanafody pour que je sois moins inquiet, car je ne dors plus, la nuit.

    -   Parce que tu es en dehors!

    -   Non, je suis sur ma natte, mais le chef, par sa question m'a troublé l'esprit.

     

    L'ombiasy réfléchit. Sachant Botra pas si riche que cela, il acquiesça enfin. Je vais lui demander un bon prix, trois zébus; s'il paie, alors que je sais qu'il ne le peut, c'est qu'il vole du bétail ; s'il se rebiffe, ce n'est pas lui ; de toute manière je vais lui enlever ses insomnies. Ce qui lui était facile. Comme tout sorcier respectable, il avait ses plantes à « dormir ». Médication des plus banales qu'il utilisait lui-même vu son grand âge refusant de plus en plus le sommeil.

    Botra ne broncha pas, paya.

     

    Pourtant les vols cessèrent. Involontairement. Le vénérable sorcier ayant forcé la dose de son fanafody, avec l'obligation de le prendre tous les soirs, jusqu'à ce qu'il le préviendrait.

    Botra s'endormait chaque nuit d'un lourd sommeil, comme assommé. Or, c'est la nuit qu'on vole les bœufs. Si bien qu'il reculait au fur et à mesure ses vols prévus, puis l'accoutumance venant, se sentant tout de même extrêmement reposé, détendu les lendemains ensoleillés, il fut soudain prescient que le vieux sorcier l'avait joué, ayant deviné que c'était lui qui volait.

    Et puis, payer trois bœufs chaque fois qu'il serait inquiet, ça faisait cher, valait mieux garder sereinement son propre bétail.

    Ce pourquoi il ne vola plus et la malice revint dans son regard, et les querelles s'en retournèrent aux pâturages mitoyens des deux villages.

    Querelles qui s'effaçaient d'elles-mêmes chaque année quand la sécheresse gommait les herbacées et qu'ensemble on allait transhumer les zébus dans les montagnes du Nord, le bétail beuglant d'aise, comme s'il savait que : « de l'herbe, on allait en ravoir ».

     

    Entre Barabay et Kirimosy

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     Louis SZUMSKI

     


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