• * Négociation

     

    Négociation

     

    Les Masikoro de la Manombe pansaient leurs blessures, remembraient leurs villages brûlés, regroupaient la volaille disséminée dans la forêt et contemplaient leurs parcs à zébus, vides de bétail, ne laissant voir qu'un tapis de bouses sèches sur lequel poussaient des champignons.

    Pour qu'il y ait des champignons dans leurs parcs, cela signifiait bien que les combats avaient été sévères et à leur désavantage, les Bara Imamono descendant des pentes louvoyantes de l'Analavelo ne s'étant arrêtés qu'au bord de la mer, ondulant pâturage à poissons mais qu'ils ne pri­saient pas, les bovins de l'ennemi faisant largement leur affaire : ils furent ramenés dans la forêt d'Ipetsa dont la vue, de loin, en surplomb, ressemblait parfois à une étendue de branches mouvantes, tant les cornes de troupeaux entassés se confondaient aux arbres, le tout ayant l'air d'avancer, comme des buissons balladeurs.

    Ce qui impressionnait vivement le Masikoro parti en éclaireur, que cette verdoyance déambulatoire décontenançait, du haut de son abri, alors que ce n'étaient que bœufs contre bœufs piétinant dans les sous-bois aux fleurettes empêtrées dans les rares touffes d'herbe, s'en allant dans l'antre des bœufs rumi­nants, sans poésie, sans tristesse aussi ; ainsi étant faite la végétation toujours renaissante.

    D'éclaireur Masikoro il n'y en avait plus. Ayant trop vu, il fut abattu.

    - « Ha bon ! vous vous intéressez à nos forêts de cornes ! Nous allons vous rendre visite ».

    Tant les sagaies brandies étaient denses que ce fut comme une fulguration dans la nuit sans lune.

    Les villages attaqués n'eurent plus d'existence, et les bœufs raflés allèrent grossir leur « forêt d'Ipetsa ».

    Pourquoi cette attaque ! A cause d'un malheureux cu­rieux qui n'était peut-être même pas Masikoro ! Ces Bara avaient la susceptibilité un peu trop à la pointe de la sagaie.

     

       

          Le chef Masikoro Andravola voulut en savoir davan­tage, et délégua un groupe de son village reconstruit, pour connaître la cause de cette attaque brusquée !... à moins que l'attrait des zébus en fût la seule motivation !

    Comme cela se produisit quelques mois après la razzia, les émissaires parurent douteux - quoi ! encore des éclaireurs ! - qu'ils furent massacrés sans autre explication.

    Attristé, le chef Andravola fit répandre la nouvelle. Cela ne pouvait continuer ainsi, avec ces Bara Imamono, les Bara qui tuent.

        Il fallait effacer cet affront, qui n'a aucune raison de ne pas se renouveler, si l'on ne fait que se lamenter.

    La troupe Masikoro monta les flancs de l'Analavelo en rangs serrés pour donner une leçon à ces Bara mamono. (une tribu porte encore ce nom dans la région d'Ankazoabo : Bara Imamono).

          Les Bara, repus comme des lions rassasiés, avaient la vie belle, et la vue aussi, en voyant grimper les Masikoro vers eux.

    Encercler tout cela, fut l'affaire du chef Bara.

     

    Négociation

     

    Mais cela faisait un paquet à massacrer cette fois-ci. Les papango tournoyaient déjà dans le ciel, au fait du dénouement de telles rencontres, qu'ils en claquaient du bec de contente­ment, dans l'azur devenu impur de leur vol lourd.

    Négociation

     Réflexion faite, le Bara décida d'un palabre préambulaire, surtout parce qu'une bonne partie de ses hommes étaient dans les clairières à dénombrer le bétail et qu'il ne se sentait pas en force suffisante dans l'immédiat.

    -  Hé! les massacres! oui, mais comme ils n'ont pas l'air content, on pourrait peut-être l'être aussi, massacrés ! Non, vous n'aurez pas de viande ! criait-il en brandissant son poing vers le ciel où les rapaces planaient en de parfaites spirales au-dessus du présumé champ de bataille.

     

    Les Masikoro, l'ayant vu brandir son poing, crurent que c'était à leur adresse et se dressèrent, tout prêts à l'affron­tement. Mais le chef Bara s'avança, seul, pas trop près, et leur parla.

       -  Rendez-vous tous, sinon vous ne verrez plus les papan­go dans le ciel.

     

    Intrigué, le chef Masikoro réussit à garder un ton serein en lui demandant : « Tiens, tiens ! et pourquoi ne verrons-nous plus les papango ? Allez-vous les abattre ? 

    Ce ton narquois fit rugir le Bara.

     

    -   Les abattre ! non ; vous, oui, vous recevrez tant de sagaies qu'elles effaceront non seulement les papango sur leur passage, mais aussi le soleil.

     

    Ayant senti de l'irritation, le Masikoro, quoiqu'inquiet, rétorqua :

    -   Jetez toujours vos sagaies, ainsi nous combattrons à l'ombre, tant il fait chaud en ce moment.

           Cela fît, malgré la gravité du moment, pouffer quelques guerriers indisciplinés, des deux côtés.

    C'en était fait, de l'affrontement dans ces conditions, les deux chefs le perçurent, à leur soulagement réciproque d'ailleurs.

    Les clauses du traité verbal se résumèrent ainsi: « Vivons en bon voisinage puisque les bœufs volés sont perdus dans la forêt comme vous dites, à quoi bon venir nous razzier encore si c'est pour les reperdre ! »

    Le chef Bara, heureux de n'avoir pas à rendre le bétail, accepta volontiers les conditions soumises et depuis, les Masikoro restent dans la plaine bordée par la mer, et les Bara Imamono dans la forêt d'Ipetsa où, vu du ciel, l'on voit toujours les branches mouvantes des cornes déambuler d'une clairière à une autre. 

     

    Négociation

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     Louis SZUMSKI

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