• * Tsivaha

       Tsivaha

    Michel Lecoq - mlecoq34.wixsite.com

     

       Au pays Karimbolien de l'Androy il y a une étrangeté surnaturelle du silence et, plus on va vers son sud, plus les épineux typiques se raréfient pour faire place à de plates clairières que l'on croit bordées de boqueteaux qui ne sont que zébus se mouvant à peine, paissant avec lenteur comme si la moindre brindille était une botte de foin alors que l'herbe n'était que parcimonieusement répartie parmi le tapis de cailloux d'une pâleur grisâtre comme de la neige sale.

     

    Tsivaha

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       En croisant les troupeaux immobiles aux côtes saillantes, silencieux aussi, semblant glisser sur les pierres brisées plutôt que les heurter de leurs luisants sabots, l'on arrivait à la côte proprement dite après avoir franchi une falaise bosselée  comme mille dos de chameaux froissés, que les tortues arpentaient avec hésitation, allant d'un monticule à l'autre où, lorsqu'on apercevait une fleur inespérée illuminant un buisson rampant - le temps de se baisser pour la cueillir, elle s'envolait comme un papillon qu'elle était, bleu vif ou jaune éclatant, sans aucune hâte, d'un battement d'ailes ralenti.

       Comme si d'un épineux à un autre il n'y avait nulle illusion à se faire, se ressemblant tellement, qu'autant faire du sur place au-dessus de l'air chaud dont les ondes bleuâtres au raz de sol mettait de la moiteur dans les jambes s'égratignant dans les ronces, ne surgissant à l'œil que lorsqu'elles s'étaient faites sentir par leurs griffures aux mollets avachis des marcheurs qui, par mimétisme avec le Sahel muet, se taisaient, s'apparentant à une colonne piétinant derrière un cortège funèbre occidental, alors qu'ils allaient au bout, à la limite du Karimbolo, qui était la mer.

     

    Tsivaha

    FB Lavanona surf lodge

       Ils la découvrirent d'un amas rocheux d'où un grand oiseau blanc s'éleva, quittant son amoncellement de guano, leur tournant le dos, choses insignifiantes pour lui qui avait toute la mer à survoler, absolument seul dans les airs alors qu'en dessous les vagues se mouraient en écume molle, effleurant à peine le sable blond qui s'étalait là en une plage en demi-lune parfaite où les coquillages avaient fait leur cimetière, blanchissant au soleil, côte à côte, souvent endettés comme du fin gravier faisant un clair bandeau au rivage désert qui avait la même intensité de silence que les clairières semi-mortes de chaleur.

     

     

    L’image contient peut-être : océan, nuage, ciel, plein air, nature et eau

    FB Association ARA Androy

     

          La mer était trop tiède, le sable trop doux, le soleil trop brûlant, les ombres des très rares arbustes plus qu'illusoires. La touffeur était partout, impalpable mais visible et le ciel était regardé comme si l'on découvrait pour la première fois son infini œil bleu, alors qu'étaient recherchées des traces de violet, de rose, indiquant l'amorce du crépuscule qui traînait derrière l'horizon, poussant nonchalamment en avant son compagnon croissant de lune avec un pendentif d'étoiles encore bien blêmes à la naissance de la nuit, dont le coucher du soleil glaçait peu à peu la mer unie comme un miroir dans lequel il devenait impossible de regarder sans s'aveugler.

     

    Tsivaha

     

       Le vent lui-même, qui s'appellerait brise marine ici, était absent, comme s'il lui était interdit de rafraîchir quoi que ce soit, cette fonction paraissant réservée à la seule nuit qui enfin montait de l'Est comme violette de froid mais que démentaient les chaudes rougeurs d'orages sanguines qui striaient le ciel comme des lanières de feu avant que le bleu de Prusse ne s'installa enfin avec tous ses colliers qui ont des noms dans la bijouterie Astronomie et que la lune devenue nette, effilée, demi-allongée comme un strict fauteuil de plage attendant un ange qui ne venait pas parce qu'il contemplait d'en haut et d'ailleurs les étoiles tombées dans la mer où elles dansaient sur la mousse sans jamais couler alors que lourdes d'or elles étaient.

     

       Toute cette mer imbuvable, tout cet or insaisissable, toute cette nuit enveloppante comme de l'épais velours et tout ce silence qui persistait pesamment avaient épuisé les errants, hagards fantômes lunaires se dévisageant l'un l'autre, méconnaissables, comme du coton en vague forme humaine, étant venus rechercher un village perdu au bord de la mer et semblant de plus en plus douter de sa réalité lorsque, plus impressionnant qu'un cri d'animal sauvage, jaillit du groupe harassé un faible son de voix étranglé d'émotion : « Une lumière ! une lumière humaine ! ».

     

    Tsivaha

    FB Lavanona surf lodge 

     

       Prudemment, tous regardèrent dans la direction qu'il montrait d'une main tremblante, car, de lumières ! il y en avait des milliers ; dans le ciel, sur la mer. Non, celle-là était bien sur la terre, unique, mouvante, colorée, avec parfois des étincelles en jaillissant comme des gerbes joyeuses, gerbes qui, à distance, communiquaient leur joie aux égarés répétant tous à la fois : « du feu, du feu ! ».

     

       Donc il y avait des habitants dans cet endroit extraterrestre. Un village sans doute !

      C'était bien cela, quelques cases groupées autour d'un pieu à sacrifices qui s'appelaient : Tsivaha.

     

       Et la chape de plomb du silence retomba sur les êtres, la nature endormie.

     

     

    Louis Szumski

     


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