• * Tornade

     Tornade

      (farodiroma.it)

       Une tôle se détacha du toit de la case, plana un moment, heurta le tronc d'un jeune cocotier penché sous la bourrasque et le cisailla net, ses fruits tombant sur le sable mouillé.

       A côté, la pirogue se remplissait d'eau. Viroke était accroupi sous la voile lourde d'humidité, aménagée comme une tente, regardant pensivement la mer qui lui avait arraché ses filets neufs, à peine achetés, l'avant-veille, chez le Chinois diligent.

       Mais autre chose semblait le tracasser, indéfinissable.

       La pluie était grise, grise, et après, la longue sécheresse était presque malvenue sur les chétives cultures que le vent tourbillonnant avait d'abord soigneusement arrachées. La rivière, un peu plus haut, rougissait la mer de sa boue tumultueuse, montée brusquement qu'elle était, alors qu'un peu de soleil encore dorait le lit lent d'eau claire.

       Que charriait ce cours d'eau subitement gonflé, sinon peut-être des crocodiles surpris, affaiblis, ou du bois mort recroquevillé sur ses rives. Viroke observait l'élément liquide et n'avait pas plus de réaction qu'un petit bout d'allumette éteint. L'eau sur lui, devant lui, autour de lui. Il retourna péniblement sa pirogue.

       D'habitude, Doda venait l'aider. Mais le gamin n'était pas venu, avec ses grands yeux noirs toujours interrogatifs. Il aimait beaucoup les poissons en couleurs qu'ils avaient pris parfois; pas pour les manger, mais en caresser les écailles puis les rejeter furtivement à la mer lorsque personne ne pouvait le voir, sinon ils se moquaient de lui. Ils ne comprennent rien, se disait-il.

       Et les poissons coulaient, happés par les vagues du reflux, allant probablement revivre et recolorer leur univers. « C'est les fleurs de la mer, Viroke », lui disait-il.

     

    Tornade

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       Il ne le contredisait jamais, toujours étonné des réflexions de Doda devant tant de choses de la nature apparemment inutiles à la substance quotidienne.

      Car, ce qui comptait, c'était s'assurer le pain de chaque jour et ce but permanent n'autorisait pas spécialement la rêverie.

       Quand Doda lui demanda, au crépuscule, assis tous deux sur le sable ocre et tiède de la plage pendant que l'horizon jetait de l'or - il presse chaque soir des citrons, des oranges là-bas, le soleil, hein ! pour que les gens ne meurent pas de soif le lendemain, disait, émerveillé, Doda, les yeux éblouis de lumière solaire :

       -   Quand m'emmèneras-tu une fois voir le bout de la mer le soir ?

       -   C'est trop loin, petit, répondait Viroke ; en pirogue on arrivera trop tard: les étoiles seraient déjà là.

       -  Cela ne fait rien, Viroke, il y en a de grosses qui permettraient de voir quand même, un peu, un tout petit peu.

      -   Elles sont trop hautes Doda, on ne verrait plus que de l'argent, insaisissable, sur les molles vagues et tu vois, elles travaillent tout le jour les vagues, alors il ne faut pas les déranger la nuit, elles ont besoin de dormir un peu la nuit.

       -  Mais tu iras lentement.

     

    Tornade

    Madagascar entre ciel et eaux - Actiprod

       

         Et Viroke se mordit la langue d'avoir parlé comme l'enfant, d'argent sur l'eau, car il lui dit alors :

       -  Eh bien on n'ira pas jusque là-bas peut-être, mais on ramassera un peu d'argent, on essaiera.

       -  Mais c'est pas toutes les nuits, Doda, il faut que la lune soit là et donne l'autorisation, car c'est à elle, tout ce qui brille sur l'eau la nuit.

       -  Demande-lui la permission, Viroke, tu la connais sûrement toi, tu es si vieux déjà.

       -  Oui, mais c'est loin Doda et quand les nuages viennent parfois, sans prévenir, comme à leur habitude, la lettre n'arrive pas, elle se mouille en passant dedans et la lune ne peut pas lire ce qu'il y a dessus.

       - Essaie Viroke, un jour, hein ! dis !

       Viroke bâillait alors, non d'ennui, mais de bonne fatigue musculaire de la pêche de la journée, et considérait Doda, son neveu, comme s'il le voyait pour la première fois, quand il lui demanda ce soir-là en tenant des fleurs jaunes à la main, cueillies aux buissons de la forêt voisine, pourquoi il y en a qui ont cinq pétales et d'autres six.

     

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    -  C'est pas de la même famille peut-être.

    -  Mais si voyons, je les ai cueillies sur la même branche.

    -   Oui, mais la branche c'est le village des fleurs et chaque fleur c'est une famille, vois-tu, comme les humains; alors il y a des fleurs qui ont quatre, cinq ou six enfants-pétales, tu vois.

       Et il se concentra à la confection d'une grossière cigarette, inégale dans sa rondeur, pour souffler un peu, car son cerveau n'était pas habitué à de semblables efforts et il aimait bien trop Doda pour le rabrouer.

    -  Laisse-moi en paix et aide-moi plutôt.

      Cela il n'avait jamais à le dire.

      Doda l'aidant toujours consciencieusement lorsqu'il revenait de la pêche. Il l'attendait avec quelques morceaux de manioc bouilli, de l'eau douce dans une calebasse, une noix de coco ouverte.

      Lui, ramenait toujours quelque chose de curieux de la mer pour Doda, mais plus d'étoile de mer, rougie.

      Cela le rendait triste.

     

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      « Elles sont tombées du ciel, dis ! elles ne savent pas nager donc ? Pourquoi elles ne brillent plus ? »

      Il ramenait ainsi un silure péché à l'embouchure de la rivière, poisson-chat avec une barbe, qui les faisait rire alors tous les deux.

      « Regarde comme ses yeux sont fâchés, pourquoi n'a-t-il pas de langue, il a la bouche ouverte comme s'il voulait parler pourtant. - Non, il a faim peut-être, petit.»

     

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    wikipedia

     

         Et le silure poilu était renvoyé dans l'eau clapotante.

          -  Va vite alors et mange bien.

       Mais parfois Doda n'était pas là à l'attendre.

       Il était à la rivière, il le savait, à la saison des lentes décrues surtout.

       - Dis, tu sais Viroke, j'ai vu à la rivière une pierre qui grandit chaque jour un peu ; pourquoi elle seule pousse et pas les autres ?

       Un jour il se fit entraîner par le gamin vers la rivière où une pointe de roc blanc dépassait de quelques centimètres l'eau calme du cours d'eau au faible courant, juste au milieu du lit.

    -  C'est qu'il est bien arrosé lui, tu vois, il a de l'eau tous les jours, c'est pour cela qu'il pousse bien.

    -  Ne le dis à personne hein, on me la prendrait la pierre, le roc comme tu dis, toi.

    -  T'en fais pas, allons, retournons maintenant, il faut manger.

       Il était presque mécontent maintenant de ne plus voir Doda qui était tout à sa pierre qui poussait, poussait. Comment le décevoir en lui disant que c'était la rivière qui baissait ?

       Il le découvrirait bien lui-même, il est assez éveillé pour cela, malgré ses réflexions bizarres.

       Viroke était seul sous la pluie.

       Doda aurait été content de lui parler de ces tas de perles tombant du ciel qu'il buvait en riant en ouvrant la bouche toute grande.

       La montagne renvoyait des torrents d'eau dans la rivière qui dégorgeait boueuse dans la mer murmurante où la pluie s'évanouissait.

       Viroke brusquement se releva, la sourde inquiétude qui le rongeait s'étant fait lumineuse à son grand effroi.

        Et si Doda était à son rocher grandissant ! Et si la crue, subite comme c'est le cas sur ce littoral, l'avait surpris dans sa contemplation !

      Il courut, courut, et la nuit aussi, car c'était son heure, plus noire ce soir-là avec les nuages bas filant dans le vent qui avait un mauvais son.

      Le village ne saura que le lendemain.

     

    Tornade

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    Louis SZUMSKI

     

     

     


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