• * Tatouages

     

    Tatouages

     

       La femme vaquait aux soins du ménage, voûtée par l'âge. Elle ne se rappelait plus que vaguement son Androy natal d'où elle était partie jadis, suivant sa famille et où alors, lire, écrire, étaient quelque chose d'absolument abstrait.

     

       Pour ne pas perdre les jeunes membres du groupe, au cours de pérégrinations plus ou moins aventureuses, on marquait les plus étourdis, et la vieille trimbalait ainsi, depuis son plus jeune âge, trois points bleus à la tempe : tatouage fait avec du suc de fleurs, du charbon de bois, à l'aide d'une aiguille de fantsiholitra, extrêmement dure.

     

     

    TatouagesGurib Fakim

     

         Indélébiles, ces trois points bleus faisaient songer le vazaha de passage à des souvenirs qui n'avaient aucun rapport avec les signes de la ridée vieillotte, égrenant ses épis de maïs sans plus se soucier de l'étranger.

    Folimah, lui, Masikoro de la plaine, de l'intérieur, disait que chez eux on ne se tatouait pas du tout pour la même raison.

     

         A Ankilimalinika par exemple, où se côtoyaient Antandroy et Masikoro en nombre presque égal, les femmes, les hommes aux dessins, points bleus sur le bras, le front, semblaient faire fondre en une seule et même coutume l'origine du tatouage, alors que le Masikoro qui est un sédentaire dit :

     

         « Une fois, le petit Saly, qui s'ennuyait fort à garder des zébus qui voulaient toujours pénétrer dans le champ de manioc voisin, n'appartenant pas à ses parents, car lui-même aurait bien déterré alors une racine ou deux pour ses propres besoins, avait pris l'habitude, en se morfondant sous un tsinefy sans fruits, de sucer, non seulement son pouce, mais le plus souvent deux doigts à la fois.

     

    Tatouages

    FBRecettedecuisineartisanaledambanjamadagascar 

     

          Cela calmait passagèrement la faim par la salivation ainsi déclenchée. Mais il y a des parents que cela gêne et son père, furieux surtout de voir son bétail dispersé, le menaça de lui couper les deux doigts, ainsi il veillerait mieux aux animaux qui avaient déjà pas mal rasé les feuilles de manioc trop tendres, du voisin qui hurlait, voulant garder un bœuf pour le prix des dégâts. Le zébu étant presque l'objet d'un culte, la mère elle-même devint furibonde envers Saly et proposa plutôt que de mutiler le gamin, de lui brûler les deux bouts de doigts en cause.

     

         Un arrangement ayant eu lieu avec le propriétaire du champ, la brutalité des sanctions avancées s'atténua, et la mère alors suggéra qu'on lui pique les malencontreux doigts avec une aiguille d'aloès, qui poussait partout à l'état sauvage. Comme il avait les doigts barbouillés de poussière de bois calciné, alors qu'il retournait un épi de maïs sous la braise, il fut piqué incontinent de plusieurs petits coups qui s'enfoncèrent un peu profondément dans la chair, bien involontairement de la part de la mère, tant il se tortillait sous la légère douleur causée.

     

          Une semaine passant, la peau de ses doigts s'en alla, mais les points d'aiguilles formaient un cercle imprécis, resurgissant sous la peau neuve, d'une coloration bleuâtre comme les fleurs zygomorphes du genre violettes.

    C'était curieux à voir, presque joli, pour le couple qui s'ébahissait ainsi que Saly, qui ne suçait plus ses doigts enjolivés mais les contemplait interminablement, au grand profit des bêtes, qui divaguaient au petit bonheur dans les champs des autres, si bien qu'une fois revenus de leur ébahissement, par toutes les récriminations des voisins devenus hargneux à juste titre, le père dut se résoudre à emmener son troupeau vers des pâturages vierges de toute culture, là-bas, au pied de la montagne toute habillée d'arbres verts formant un mur que personne ne franchissait.

     

       Mais c'était loin de la maison. La femme se lamenta.

    -   Tu resteras longtemps, dis ? Et si tu m'oublies ?

    -   Penses-tu, je reviendrais à la saison des pluies. Saly, dans un coin, morose, les écoutait.

    -  Je te laisse Saly pour te tenir compagnie.

    -  Saly, oui, mais comment penseras-tu à nous une fois loin, de longs mois ?

     

       Et la femme s'étant tue, attendant une réponse, rétorqua soudainement en regardant pensivement Saly qui lorgnait ses doigts.

    -   J'ai trouvé, tu vas me piquer mon bras et moi le tien, comme à Saly, ainsi en voyant ces points, tu penseras à nous et moi à toi.

     

    * Tatouages

    FB Toliara tsy miroro

       Le mari débonnaire acquiesça. Ils se rappelèrent que les doigts de Saly étaient sales de cendres. Ils badigeonnèrent d'abord leur bras avec du charbon de bois, et l'un l'autre se piquèrent, jusqu'à faire un cercle de points, avec une aiguille particulièrement acérée.   

     

       Ils se séparèrent, satisfaits de leur ornement qui se teintait peu à peu sous l'ancienne peau s'écaillant, laissant un rond comme une fleur, qui intrigua les voisins, et insensiblement, l'idée se répandit chez les Masikoro, se piquant pour les cas de séparation, d'affection, voire de punition, s'enhardissant par la suite à d'autres figures, dessins frustes.

     

    D'où l'origine des tatouages ", dit Folimah.

     

    Tatouages

    Suzanne Frère

     

    Louis SZUMSKI

         


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