• * Le retour

     

    * Le retour

    (Facebook Antandroy to vatae)

     Une fois réinstallé dans son village, ayant repris sa tâche de bouvier, Fanatsarea n'en finissait pas de soupirer d'aise, après son expédition sur les Plateaux où la fortune ne sourit même plus aux audacieux.

       Le conteur habituel cédait volontiers sa place, dans les mauves crépuscules, sous le tamarinier penché comme pensif, à Fanatsarea qui débitait son voyage en tranches hilarantes car tous «ses malheurs», maintenant qu'ils appar­tenaient au passé, ne provoquaient que rires, lui, le premier, en devenant joyeux et l'écho, dans la nuit caressante, se propageait aux autres villages périphériques qui riaient silencieusement de ces rires apportés par le vent tout en enviant ce village qui avait bien de la chance de s'amuser ainsi chaque soir, en songeant aussi que tant d'éclats de rire se propageant dans l'obscurité chassaient les maléfices et autres fantômes qui peuplent l'Androy la nuit.

       Procurant ainsi un sommeil beaucoup plus réparateur car alors les gras zébus pénétraient en masse dans leurs rêves au lieu de cris de chouettes dont les battements d'ailes semblaient être ceux d'un humain s'essayant en vain de voler, ce qui ressortait d'un mauvais sortilège.

    Fanatsarea, son cercle d'auditeurs attentif le cernant, reprit ce soir-là le cours de son voyage dans le taxi-brousse. Lire il savait.

    Lire et être déluré, ce pourquoi il était parti.

     

    * Le retour

    FB Donnafiti art

    « Comme ça roulait, s'arrêtait, des gens montant, des­cendant du véhicule, j'avais voulu parler au chauffeur, mais comme j'avais la bouche pleine de paraky, je ne pouvais pas ; je cherchais un coin, mais devant, en lettres rouges c'était inscrit: « défense de cracher ». Je dus attendre l'arrêt suivant, descendit vite me libérer de ma chique et voulut remonter. Le chauffeur ne me reconnaissant pas, voulut me faire repayer.

    - Mais j'étais dedans! - C'est pas vrai tu viens de dehors ! 

    Ça a duré dix bonnes minutes jusqu'à ce qu'une vieille femme impatientée dise que j'étais assis à côté d'elle. Une fois «rededans» la voiture, il fallait bien que je parle au chauffeur, je savais bien le nom du lieu où je devais descendre mais où c'était, ça, il fallait que le conduc­teur me le dise.

    Pas possible ! Au-dessus de lui c'était peinturé : défense de parler au chauffeur. Par hasard j'ai vu une plaque sur la route ; c'était mon adresse où je devais sauter en marche ;  juste au-dessus, c'était marqué : défense de descendre en marche ».

    Aux mimiques de Fanatsarea l'assistance devint hilare.

    « J'étais prisonnier quoi. Avant de me rasseoir, car il y avait des gens debout, ne sachant si c'était pas inscrit défense de s'asseoir ou de rester debout. Comme j'étais malin, heu! ne toussez pas tous à la fois, hein! j'ai pris le siège au milieu du couloir, qui se lève et se baisse. J'ai juste posé mon derrière dessus, comme ça je n'étais ni complè­tement assis ni entièrement debout, le peintureur d'interdic­tions était bien attrapé là.»

    « Et alors ! »

    « Bien sûr au terminus comme j'avais plus beaucoup d'argent, je suis revenu en sens inverse à pieds, jusqu'à la pancarte où je devais me rendre. Fallait voir comme on regardait mon salaka. A la fin, j'en trébuchais dedans tant que j'ai acheté un short d'occasion dans une boutique au bord de la route. Ciel, qu'on a les fesses serrées là-dedans. J'pouvais presque plus marcher, ça craquait de partout. Les gens continuaient de regarder vers moi, en l'air. Comme eux alors je regardais derrière moi, en l'air. Rien, il n'y avait rien ! C'était mon chapeau rond en peau de chèvre qu'ils regardaient, au point que je l'ai roulé dans mon salaka enroulé et j'ai acheté un chapeau de paille avec de ces bords que je voyais presque plus rien là en dessous. J'ai jamais compris comment ils font pour marcher avec. Moi, j'ai eu peur de manquer ma plaque si bien que j'étais toujours à relever ce maudit chapeau pour mieux voir. Fallait voir comme j'étais déguisé ! »

     

    * Le retour

    Danita Delimont - Alamy stock photos

    « Et alors ! »

    « Ben, la plaque, j'ai tamponné dedans son poteau sup­port. Elle était si haute que sans ça je la manquais. Alors j'ai vu l'usine où on m'avait dit que j'aurai du travail. Ils m'ont pris mais ils ne voulaient pas que je reste pieds nus. Ils m ' ont donné de grosses chaussures en cuir, que je pouvais plus les bouger, j'avais mal partout et dans mon dos ça criait; allez, plus vite, plus vite, il aurait mieux fait de se taire le «pluviteur», parce qu'avec les gros clous en dessous j'ai glissé sur le ciment où, j'avais l'air d'un nageur qui se noyait. Les autres rigolaient. Pas moi " .

    L'assemblée se tor­dait de rire car l'air sévère de Fanatsarea ne faisait qu'aug­menter leurs contorsions rigolatoires.

    «  Et alors!»

    « Ben ! là j'ai compris que jamais je ramènerai un zébu chez nous, pas même le moindre bout d'une queue. Oui, mes amis, parce que les zébus que j'amenais du parc le matin, c'étaient des boîtes le soir. Boîtes de viande, de tripes de foie, pas même un os qui restait, cela devenait poudre blanche et moi qui suis malin, ne riez pas tous à la fois, hein ! je m'étais dit que dans une usine de viande, qu 'est-ce que je vais en manger !  

    * Le retour

    Eh ! bien, rien, rien. Et une fois après le travail, dans les gargotes, impossible de trouver un bout de viande de zébu. Rien que du poulet, de la sauce au poulet ! Tout le temps de la volaille, le bœuf étant réservé à l'usine, si bien que quand ma tête me grattait, j'avais toujours peur que des plumes ne me poussent. Le poulet ! bah ! plus jamais du poulet !

    A la fin, j'en rêvais tant de zébu que je portais en morceaux à longueur de journée sans pouvoir en manger le moindre bout,  qu'une fois je m'en suis coupé une tranche, que j'ai mis dans la poche de mon short mais soit que la poche était trop petite, soit que la tranche était trop petite, soit que la tranche était trop grosse, ça dépassait. Le « hé va plus vite» me dit qu'ici le zébu c'était pour mettre en boîtes, pas dans les poches. De rage, j'ai mordu dedans et lui ai jeté le reste à la figure. Ce que j'ai ri, y disait plus que : - ben ça alors! ben ça alors !  Bien sûr j'ai été mis à la porte tout de suite et j'en étais presque content, surtout de quitter ces chaussures qui me faisaient marcher comme une tortue.»

    « Et alors ! »

    « Et demain soir alors ! »

    Un vent chaud, libre, libre comme la liberté, soufflait sur leurs visages séchant les luisances de sueur, balayant le sol sans soulever de poussière sans contrainte, ce qui fit clore la soirée par Fanatsarea :

    « Voyez, mes amis, ce vent chaud, ce sable, ces clairières, ce ciel, rien n'est écrit dessus, c'est ça la liberté. Ils n'ont pas cela eux. Là-bas, tout le monde guette tout le monde et comme ça ne suffit pas, il y a plein de pancartes qui interdisent tout, n'autorisent rien.»

    Une génisse, dans les haies de cactées, meugla son assentiment.

     

    Louis Szumski

     


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