• * Le boeuf de la mer

     

    Le boeuf de la mer

    (FB mylifeisamovie)

     

    Il est établi que, dans le Sud, la croyance est que le zébu vient de la mer et que le Canal de Mozambique en referme encore beaucoup.

    Il faut remonter fort loin en arrière, quand la grande Ile recevait ses premiers habitants et que, déjà, certains indivi­dus étaient rejetés par d'autres, par des clans formés, se méfiant de tout et principalement de l'homme.

    Tous n'étant pas de même origine, surtout sur la côte Sud si rébarbative qui parfois accueillit des esclaves révoltés, des isolés sur la côte par leurs congénères voguant dans le Canal de Mozam­bique parce qu'ils avaient enfreint le Coran.

    Bref, il n'y avait aucune uniformité de type purement autochtone, de langage, de mœurs.

    Ainsi l'un d'eux, venu de la mer, erra longtemps dans le bush irritant puis, attiré par une fumée bleue, rencontra quelques hommes autour, décortiquant des fruits de raketa qui gonflaient le ventre.

    A cette vue il soupira d'aise : « Enfin des semblables ! » ; il allait pouvoir manger à nouveau, la vue des estomacs tendus lui mettant la salive sur les lèvres.

    Mais le groupe, effrayé tout d'abord, puis le voyant seul, s'écria : « Tsiomby, Tsiomby ». Ne comprenant pas le sens des paroles, il dut comprendre toutefois, par leurs gestes véhéments, qu'ils le chassaient vers le bush d'où il était ap­paru.

    Tsiomby signifiant « qui n'a pas sa place ici ». Il n'y pas de place pour toi. Et le malheureux Tsiomby s'en retourna dans les épineux sournois avec ce surnom reçu. Il rencontra bien d'autres groupements isolés, toujours en train de cuire ou de manger quelque chose, mais à chaque fois on lui criait Tsiomby aux oreilles.

    - Ah ! si un ou deux de mes camarades avaient pu avoir la vie sauve avec moi de ce maudit naufrage, nous aurions formé un clan à nous et nous aurions cuit et ingurgité entre nous ce que nous aurions trouvé. Mais je suis seul, sain et sauf.

    Et, sur ces pensées amères, ses pas lents, fatigués, le conduisent, le reconduisent vers la plage d'où il avait émer­gé, émerveillé d'avoir touché terre.

    Sur une plage incurvée où, providentiellement, suintait de l'eau douce s'écoulant en un mince filet au niveau de la mer avant de se mêler à l'eau salée, il s'installa aussitôt, coupant des branches pour en faire une haie ; il replanta les plants sauvages comestibles qu'il décelait, lui fournissant ainsi sa nourriture avec les fruits violets que le bush produi­sait çà et là ; des lamoty ressemblant à de petites prunes.

     

    Le boeuf de la mer

    caribfuits.cirad.fr

    Toutes ces plantes donnèrent des fleurs sur lesquelles la vue se reposait : gai tableau champêtre qui le changeait de la glauque verdoyance marine et de l'or gris du sable qu'il foulait. Quand il s'en allait un peu loin, hélas des animaux de la forêt, de la mer, indifférents aux fleurs souriantes, piétinaient son jardin et dévoraient ce qui était jugé bon à leur flair.

    Tsiomby, furieux, essaya un piège installé dans les cucurbitacées exubérants et lorsqu'il revint de sa maraude quotidienne avec deux taupes en boule, il vit un énorme monstre pris dans sa culture, solidement maintenu par le piège qui avait fonctionné. Il était tacheté de rouge et de blanc, avec deux longues cornes acérées.

    Voulant l'appro­cher, la bête rua et Tsiomby trouva bien embarrassé pour se prendre un peu d'aliment vert et frais.

     

    Plusieurs jours, ainsi s'écoulèrent, face à face. Ils s'ha­bituèrent à se voir l'un l'autre et leur frayeur mutuelle tomba. L'animal, en outre, affaibli par ce jeûne forcé, fut sans réaction lorsque Tsiomby vint lui passer une corde qu'il avait tressée durant sa longue attente. Familiers main­tenant, ils sortaient ensemble ; mais Menabe, comme il l'avait surnommé, enflait de plus en plus et ce ne pouvait provenir des rares broussailles mâchées et remâchées. Il avait simplement capturé une vache enceinte qui mit bien­tôt bas un frêle veau tout noir.

     

    Dans le temps qui défilait sans calendrier, le bétail de Tsiomby se multiplia et son jardin prospérait bien que les clans errants qui en étaient encore à se nourrir d'oiseaux minuscules, de sauterelles, de racines, lorsqu'ils virent Tsiomby gras de santé déambulant avec son troupeau - ce qu'ils n'avaient jamais vu,  vinrent lui demander craintive­ment d'être leur chef, leur roi.

    - O Omby, accepte, supplièrent-ils.

     

    N'osant plus l'appeler Tsiomby, ils avaient éludé la chose, vu que le bétail, qu'ils voyaient rarement, à l'état sauvage, ainsi que les animaux en général étaient désignés entre eux par le mot Omby, ils crurent ne pas le froisser en l'appelant de cette façon.

    Tsiomby devenu Omby fut donc sacré roi et régna fort sagement avec le bon sens dont il avait toujours fait preuve, et fort de l'expérience acquise au contact des hommes et des bêtes de l'île. Il fut considéré par les primitifs comme une sorte de dieu Omby tout puissant. Si bien qu'à l'heure présente encore, par extension, celui qui guérit, qui sauve est Ombiasy, soit Omby ou dieu et asy ou œuvre. En fait, celui qui sait les pratiques de Dieu.

     

    Le boeuf de la mer

    FB Toliara tsy miroro

    Vieillissant, il dévoila l'origine et comment il avait capturé son premier bœuf venu de la mer, en imageant un peu, car si de la mer le bœuf était bel et bien venu, il ne surgissait quand même pas du fond de l'océan.

    Le zébu étant alors très rare et sauvage, vivant isolé dans ce Sud subdésertique, s'avançait d'instinct fort en avant dans la mer où son flair lui indiquait les points d'eau douce qui parfois jaillissaient sur la plage et où il se désaltérait lon­guement, n'en revenant qu'avec la marée haute le chassant ; ce qui, vu de terre, le faisait, surgir comme un monstre de l'océan alors qu'il s'en retournait tout simplement repu de liquide, vers la terre aux buissons d'épines desséchées.

    D'où la légende que le bœuf est un animal marin.

    Les points d'eau existent toujours, en de nombreux lieux de la côte androy notamment, que la marée basse découvre ; et l'on peut souvent voir lors des sécheresses des troupeaux de zébus, chèvres, moutons conduits à ces abreuvoirs à fleur de sable, dévalant lourdement les hautes dunes androyennes brûlantes et en revenant effectivement avec le flux, comme des poissons cornus.

     

    Le boeuf de la mer

    Dave Fangitse

     Louis SZUMSKI

     


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