• * La grotte

     

    La grotte (Portugais)

     

    Il y vécut jusqu'à sa mort, son compagnon ayant fui, las d'attendre le retour de la colonne de secours.

    Les deux Portugais étaient parvenus jusque dans l'Isalo en remontant le Mangoky, leur brick s'étant échoué sur la côte ouest, dans les sables du delta de la rivière qui avait poussé fort en avant dans la mer des montagnes de limon où les deux mâts lourdement chargés butèrent pour ne plus se relever.

    Plus de vingt qu'ils étaient au départ de l'épave qui avait « fait » la côte africaine auparavant, juste en face où les tribus bantous Mbara évoluaient, atteignant les limites du Nyassaland.

     

    La grotte (Portugais)

    Madatrek

    Les voiles déchirées, le navire surchargé, les courants violents du Canal du Mozambique et les vents d'Ouest chassant puissamment à terre, bref le capitaine ne pouvait nullement être incriminé. « Faut le faire », comme l'on dirait aujourd'hui.

    Le but était évidemment tout autre : la baie des Galions, la petite île de Fanjahira, servant de base fortification-dépôt aux marins portugais traçant la route des Indes au large de Fort-Dauphin. Les circonstances n'avaient pas permis de franchir le Cap Ste-Marie, extrême-sud de l'Ile.

    Seule, une détermination farouche pouvait les sauver. Puisqu'on ne pouvait plus rejoindre la baie des Galions par mer, l'on utiliserait la voie de terre, avec l'aide d'une boussole et d'une carte forcément sommaire, de ce temps-là.

    La cargaison était précieuse. Il s'agissait de caisses d'or, de pépites plus exactement, que les Mbara échangeaient pour de la bimbeloterie rutilante.

    Plus de vingt au départ ! En fait, plus du double avec les esclaves qui, une fois sur la terre ferme, marchèrent ferme­ment, mais ailleurs, vers la liberté retrouvée, d'autant plus appréciée que la savane de la côte Ouest leur rappelait leur pays natal comme s'ils y étaient. Ce qu'ils crurent tout d'abord jusqu'à ce qu'ils se heurtent à une différence de langage des tribus sakalava déjà établies. Ce furent les premiers Makoa.

    Les vingt Portugais restant, capitaine en tête, se mirent à la queue leu leu, ployant chacun sous une caisse d'or qui leur sciait les épaules. De l'or, soit, mais c'est lourd !

    S'ils parvinrent aussi loin à l'intérieur des terres, c'est que leur désir d'atteindre le but était ardent. Ardeur entre­tenue par la prime promise à l'arrivée. De quoi se chauffer au soleil dans les oliveraies portugaises en faisant cueillir les olives aux autres.

    En attendant, un massif se dessina peu à peu à leur regard étonné, avec des cimes comme une lame de scie ébréchée. La chaîne leur barrait la route, perpendiculaire qu'elle était.

    « Tant pis, rugit le capitaine ; on passera au travers, pourvu que sa largeur ne soit pas comme sa longueur.»

     

    La grotte (Portugais)

    detours-madagascar.org

    Cet amoncellement de grès striasique fut dénommé Isalo.

       Ils gravirent péniblement les premiers contreforts, rou­lant souvent jusqu'en bas d'où ils étaient venus, alors qu'ils étaient en passe de franchir le sommet, se retrouvant au fond de la vallée encaissée quittée quelques heures plus tôt, avec du grès pulvérulent les saupoudrant et aussi les pépites qui s'échappaient des caisses éclatées dans la chute.

    Les hommes comme le chargement étaient mal en point. Ils se recomptèrent au fond d'un canyon où une source dif­fusait un bruissement de soie froissée qu 'ils salirent de leurs pieds blessés, tout en s'abreuvant, certains en riant un peu trop fort, ce qui devenait sinistre par l'écho qui renvoyait indéfiniment rires et clapotis.

     

    La grotte (Portugais)

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    Le capitaine, géant barbu, inquiet de la tournure prise, comprit qu'il ne pouvait continuer ainsi, avec des éclopés, des demi-lucides, des caisses abandonnées parce que les pépites dégringolées qui, enrobées de poussière, se confon­daient au grès effrité. Trier tout cela après chaque franchis­sement de sommet ! Et pas de plaine pour l'instant à l'hori­zon ! Non, ils sortiraient peut-être de l'Isalo, mais les mains nues, l'or ayant été semé sur leur parcours !

    Pas de cela ! décida-t-il.

        Il désigna deux des plus boiteux qui restèrent auprès des caisses d'or, avec une réserve de vivres : de l'eau, il y en avait en bas. Les autres et lui partirent et iraient, ainsi délestés, beaucoup plus vite, à la recherche du secours à l'île Fanjahira où des mulets importés paissaient, qu'on ramène­rait pour le portage.

        Aucune discussion n'était possible, ce commandant de brick avait la prestance d'un cynique aventurier. Les mate­lots avaient obéi au garde à vous, comme de simples fantassins qu'ils étaient devenus.

    La colonne, allégée, avait depuis fort longtemps dispa­ru. Les deux Portugais mal en point se remirent peu à peu et attendaient.

    Le temps, long, et la pluie, gênante entre les caisses d'or entassées en carré, firent qu 'ils creusèrent dans le roc blanc, friable, une pièce, puis deux, puis trois.

     

    La grotte (Portugais)

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       Quelques lustres s'étant déjà écoulé,  des autochtones d'aspect rugueux, rares, à la recherche de landibe, vers à soie qui pullulent dans l'Isalo où des tapia toujours verts étaient leur principale nourriture, d'abord saisis à la vue de ces Blancs barbus, puis de moins en moins surpris devant l'inoffensivité de leur apparence, échangèrent un poulet, un pigeon, un œuf, avec un regard de convoitise sur les caisses aux clous de cuivre brillant dans la pénombre de la grotte. Du fait des échanges, ils creusèrent également un poulailler dans la roche tendre, voire des cruches pour conserver du mais et de l'eau fraîche.

    De l'entrée de la grotte orientée vers l'Est d'où devait revenir le détachement de secours, ils en virent des soleils se lever sans qu'aucune ombre humaine ne se profile dans la moiteur de l'horizon, cotonneux à l'aube, violet au crépuscule.

     

    La grotte (Portugais)

    peinturesguy.pagesperso-orange.fr

     

       Devant la hardiesse progressive de certains indigènes, pénétrant pas trop rassurés dans la caverne, essayant de soulever le couvercle d'une des caisses - juste pour rire ! - les deux Portugais creusèrent un puits à l'intérieur, y déversant toutes les pépites, mirent des cailloux à leur place dans les caisses ainsi vidées, et purent de nouveau dormir plus tranquilles.

       De noires, leurs barbes blanchirent et l'un des deux, lassé après tant de méritoire patience, ne voulant surtout pas laisser sa peau dans ce trou, s'en fut à son tour, vers l'Est, vers le secours, vers la baie des Galions, vers le Portugal qu'il avait envie de revoir.

    Le dernier Portugais resta seul, immobile de longues heures près des caisses, à égrener les pierres retombant avec un bruit de perles.

    Quand il mourut, la grotte fut pillée, les caisses renver­sées par des individus abasourdis de leur découverte.

    Quoi ! des pierres, rien que des pierres ! Alors qu'à deux pas d'eux, dormaient les pépites au fond d'un puits comblé.

    Est-ce les deux Portugais qui prirent l'habitude de prononcer Isalo en désignant le massif ? Il est un fait que cela n'a pas de traduction en malgache. Quant aux Bara, n'est-ce pas aussi eux qui utilisèrent ce mot en les apercevant, en souvenir des Mbara du Zambèze ?

    Car en malgache, « naïf » traduisant le mot bara ne va pas du tout aux fiers pasteurs Bara.

     

    La grotte (Portugais)

     

    Louis Szumski

     


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