• * Errances (2)

     

     

    Errances (2)

     

    Au pied des collines, dans un collier de rizières où l'eau brille et verdissent les tiges de riz, s'étale blanche et rouge, la riante cité d'Isoanala. Une rivière zigzague, claire et mousseuse, roulant des cailloux bleus dans son lit.

    Si proche de l'Androy - la limite - et déjà si différent ; l'on évoque plutôt les Hauts-Plateaux, là-bas au Nord, d'où des Betsileo sont venus jusqu'ici.

     

    C'est la fin de l'Androy. Terminé les épineux. Des manguiers en fleurs parfumés embaument le fond de la vallée parmi les bananiers en éventail aux globuleuses fleurs violettes.

    Ils sont loin les fruits rabougris de ziziphus, les amandes du pauvre, les sakoa, les fleurs de raketa inodores.

    La place du marché est animée, les femmes, habillées de couleurs vives chatoyantes ; le ciel ressemble à une vaste mer bleutée, baignée de sérénité - celui de l'Androy au bleu plus pâle, comme déteint, se compare plutôt à des étendues de sable infinies où de temps à autre passe un nuage solitaire, comme la bosse grise d'un zébu égaré.

    Cela doit dépayser mon Fanonona, s'il est là.

    Reste à apprendre si l'histoire des morts de Maromena est arrivée jusqu'ici. Encore que cela s'avère quasi impos­sible à savoir car les villageois n'accepteraient jamais la présence de lolo, antandroy de surcroît, ou toutefois s'il en est quelque chose, ne l'avoueraient jamais devant un étran­ger au pays.

     

    Mon agent installé à Isoanala, filiforme métis sénéga­lais, ne m'apprit que ce que je savais déjà.

    Nombreux étaient les Antandroy venant travailler ici, soit comme saisonniers, au moment de la récolte du riz, soit dans les toby de mica à proximité où parfois ils restaient plusieurs années consécutives, de quoi arrondir le nombre de zébus à ramener dans leur Sud ensuite, reprenant alors une forme de vie contemplative, dans les maigres pâturages où déambulaient leurs troupeaux, où le temps ne comptait plus; s'écoulant au son d'une flûte aigrelette aux plaintives modulations se dispersant dans les tâches d'ombre des tsingilofilo (Gymnosporia Lincaris).

     

    Une massive montagne rocheuse, noire, abrupte, mas­quait l'horizon à l'ouest d'Isoanala ; une piste s'insinuait à sa base, la contournait et se terminait à Vohitrambao, im­portant gisement de mica exploité tant à ciel ouvert qu'en galeries souterraines.

    Des cases alignées au cordeau, des hangars de tôles, des reflets de monceaux de plaques de mica et le bruit de machines ; groupes électrogènes à l'extérieur, marteaux piqueurs dans la mine.

     

    Errances (2)

     

    Je croisais bon nombre d'Antandroy, tant dans la cité, que dans la mine. Evidemment c'était bien rechercher une aiguille dans une botte de foin.

    Mais si aiguille il y a ?

    Je visitai les chantiers, assistai à l'extraction de la matière dans les galeries.

    Sur une échelle à corde mobile, je descendis dans le fond d'un puits d'où rayonnaient plusieurs poches profondes et ténébreuses étayées de gros bois mal équarris. Les mar­teaux piqueurs soulevaient en un bruit infernal, un dense nuage de poussière fluide dont je fus vite recouvert. Je distinguais les ouvriers, par équipe de deux, masqués et portant de grosses lunettes de soudeurs protégeant leurs yeux des éclats possibles.

    L'air me devint irrespirable, je toussais, crachais.

    L'un des ouvriers dégageait les morceaux de mica du marteau piqueur et les avançait vers la sortie de la galerie. Il était gris de poussière et ne faisait pas attention à moi. Le grondement de l'outil avait imposé un bourdonnement continu dans mes tympans. Je ne distinguais qu'à peine les traits du tâcheron déblayeur ; un homme maigre, osseux, certainement malade de la poitrine. Je me plaquais dans un recoin pour le laisser travailler sans gêne.

    L'homme du marteau piqueur me tournait le dos, massif et tremblotant de tout son corps par la vibration de son engin assourdissant dont les tuyaux passaient sous mes pieds.

    La silhouette me rappelait vaguement quelqu'un, mais dans la semi-obscurité comment être sûr, la faible lampe à acétylène posée au sol servant plutôt de repère que d'éclai­rage.

     

    * Errances (2)

     

    Un fol espoir me vint. L'autre ouvrier, retourné près de son compagnon semblait lui signaler la présence de visi­teurs, par signes, en haussant des épaules. L'ouvrier du marteau se retourna à peine, me laissant juste entrevoir un profil défiguré par le masque et le large nez écrasé de Fanonona.

    Tout comme Fanonona.

    J'approchais encore sur le sol poudreux, laissait le passage à l'homme chargé de mica. Le chef du chantier m'appela.

    - Venez, vous allez étouffer là-dedans, vous n'avez pas l'habitude. Allons voir un chantier de surface. Il semblait pressé. Son travail avant tout bien sûr. Rendement égale prime.

    Pour remonter il faut être deux, l'un tenant l'échelle de cordes pendant que l' autre montait et, une fois en haut celui-ci aidait son compagnon à franchir le rebord friable du puits.

     

    Nous étions loin des installations modernes de la Sarre, de la Rhur, de la Moselle. Pas le temps d'aménager les puits qui étaient abandonnés dès épuisement de la veine micasseuse rencontrée.

    Je ne pus m'attarder.

    Je suivis à contrecœur mon guide non sans avoir crié dans le bruit le brouillard de poussière : Fanonona, Fano­nona.

    A-t-il perçu le son de ma voix ; le porteur du marteau piqueur se détourna me sembla-t-il, trop vivement, comme surpris. Mais que valent les impressions. N'était-ce pas mon imagination seule qui aussi me fit croire qu'une lueur affolée tournait derrière les lunettes sales de Fanonona ? De l'ouvrier au marteau !

    Je remontais, vacillant dans le balancement de la corde noueuse, ébloui par le soleil au-dessus de ma tête, presque à la verticale.

    Le chef de chantier sourit de ma mine dépitée et m'em­mena chez lui pour faire descendre d'un grand verre de bière, la poussière accumulée. Légèrement étonné de la question que je lui posai au sujet des ouvriers du fond quittés à l'instant, trouvant curieux que je m'intéresse à eux, je lui dis seulement que l'un des deux ressemblait à un de mes anciens employés. Je ne pouvais lui dire, par crainte du ridicule, le véritable motif de mon anxiété.

    L'aide s'appelait Kolisy, l'homme du marteau, récem­ment arrivé, et affecté au lourd engin parce qu'il avait une puissante musculature s'appelait lui, Tsitehafy.

    -  Mais vous prenez leur carte d'identité quand vous les embauchez.

    -  Bien entendu nous tenons à être en règle avec l'inspec­tion du travail. Une carte ou une autre d'ailleurs, on ne sait jamais si c'est bien la leur.

    Il entrait à pieds joints dans ma méditation du moment. Mon tourment devait se lire sur mon visage et le chef de chantier ne devait pas être loin de penser qu'il avait affaire à un gars un peu dérangé.

    Mais chacun de nous avait ses occupations. Nous dûmes nous quitter et je repris la piste d'Isoanala, cahotant dans les trous et sur les pierres au dos hérissé.

    Je reviendrai, étant convaincu de le tenir maintenant.

    Je résoudrai l'énigme des Tsimisokitsy.

    Plus rien ne pressait. A mon retour du Nord, de Betroka, de l'Horombe, je retournerai à la mine et attendrai que Fanonona ait fini sa tâche. En haut, en plein soleil, démas­qué, à la cantine, je le verrai en chair et en os, mon Fanonona, bien vivant et peut-être toujours aussi buveur.

    Quoi qu'il me dise alors je percerai le mystère de son enterrement, du morceau de viande de chèvre mis à sa place.

    J'étais près du but. Je fis ma tournée sans plus de préoccupation à ce sujet ; ce qui me ramena peu de temps après sur les lieux.

    -  Tiens, monsieur, quoi de neuf, vous voulez revisiter la mine !...

    -  Euh ! c'est-à-dire non, mais je voudrais bien parler à l'ouvrier qui s'appelle Tsitehafy, s'il est au fond en ce moment je l'attendrais ici si vous le permettez ; laissez-le finir son travail.

    J'étais dans l'ombre du Vohitrambao, cette montagne qui avait donné son nom au toby ; revenu de ma tournée et proche du but de ma seconde visite et dernière sans doute.

    Oui, la dernière.

    -   Ah! zut alors, vous l'avez manqué, quoi, de vingt-quatre heures tout au plus, oui, car il vient de nous quitter brusquement, m'ayant dit qu'il reviendrait, qu'il allait chercher sa femme; mais je les connais, il avait surtout besoin d'argent. Dès sa première paie perçue il est parti et ne reviendra plus par ici, c'est un de ces vagabonds jamais fixés nulle part.

    Si le gérant était physionomiste, il n'en aurait pas moins perdu le fil de ses remarques quant aux sentiments que pouvait refléter mon visage.

    - Vous avez une chance encore de le retrouver au village, à Isoanala, où ils s'attardent fréquemment soit au débit de boisson, soit à la recherche d'une fille.

    Moi, je savais qu'il n'y avait plus aucune chance.

    La tribu des Tsimisokitsy garda son troublant secret.

     

    Errances (2)

    Rivière Isoanala. Flaubée

     

    Louis SZUMSKI

     


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