• * Entente (frères de sang)

     

    * Entente (frères de sang)

     

           Aussi bien Indonésiens qu'Africains pratiquent la fraternité de sang ; raison de plus à Madagascar, où les deux souches précitées s'enchevêtrent. Bientôt il faudra en parler au passé, car passent les coutumes.

     

    Celle-ci donnait une telle exclusivité de droits aux contractants que, si tous leurs biens leur devenaient communs, il en était de même pour leurs femmes - ce qui créait parfois des situations ambiguës, d'autant plus qu'aucun lien familial ne les rapprochait : seules quelques gouttes de sang bues, à la suite d'une incision faite à la poitrine devant un ombiasy entouré de ripailles, quand les futurs frères de sang étaient aisés, autorisaient ces droits, curieusement, strictement respectés.

    Sinon pourquoi faire frères de sang !

     

    L'origine n'en est certes pas la même partout et un vieil Antandroy râblé, assis sur sa pierre-banc devant la porte de sa case aux montants sculptés (pierre qui sert aussi à aiguiser les haches et effiler les sagaies) voulut bien se rappeler pourquoi l'on faisait frères de sang dans sa tribu, tout en interrogeant de ses yeux clairs une rangée de raketa derrière laquelle ruminait son troupeau au repos.

     

    * Entente (frères de sang)

     

         " Chez nous il y avait jadis les nommés Regomy et Rekala, qui n'étaient même pas bons à faire des bouviers. Toujours à fouiner dans le bush dont ils ne cueillaient pas les fleurs égayantes, mais c'était tout juste.

    Ils piégeaient surtout les oiseaux, les pintadeaux patauds de leurs jeunes ailes, voire les œufs qu'ils donnaient ensuite à couver à une poule du village. Pratiquement inutiles à la communauté, mais comme ils en étaient originaires et pas nuisibles, on les laissait agir à leur guise. Et puis leur esprit ne leur appartenant pas toujours, qui sait si ce n'était pas un ancêtre, revenu ainsi se manifester par des caprices inoffensifs, car les deux compères s'éloignaient tant dans les profondeurs du bush souvent impénétrable que l'on se demandait comment ils faisaient pour ne jamais s'y perdre, sinon grâce aux ancêtres qui les remettaient sans cesse sur la bonne voie !

     

    Espiègles comme des enfants, ils pratiquaient des farces entre eux. Un jour, Rekala, qui cuisinait des morceaux d'un oiseau dont les plumes bleues jonchaient le sol comme si c'était des bouts de ciel tombés, vit surgir Regomy qui n'était jamais très éloigné dans ces cas-là. « Tiens, dit Rekala, je vais te donner un morceau ; c'est le meilleur, sans os ; c'est pas gros mais c'est bon.»

    Et Regomy happa littéralement la viande fumante avec des borborygmes sonores, son tube digestif réagissant à sa façon au passage de la nourriture sortie de la marmite en ébullition.

    Brusquement, Rekala éclata de rire, incompréhensiblement, devant Regomy étonné.

    « C'est que, Regomy, je t'ai donné un morceau de serpent que j'ai cuit avec, ha ! ha ! Mais tiens, voilà un vrai morceau, regarde cette cuisse juteuse.»

    Regomy, entre la faim et la colère, céda à la première en mâchonnant, pendant que son voisin en faisait de même avec l'autre cuisse du volatile. Leurs pensées n'avaient évidemment rien de parallèle.

    Puis le bush les engloutit, à la chasse aux insectes stridulants dont ils s'amusaient fort, la rancune semblant s'être envolée devant les ventres pleins.

     

    La lune avait déjà changé plusieurs fois de visage lorsqu'un jour, Regomy, à l'orée du village, fit bouillir des œufs de pintades, n'ayant rien d'autre à se mettre sous la dent ce jour-là. Quand survint Rekala rentrant bredouille de ses pérégrinations périphériques.

     «Tiens, mange donc un œuf », lui dit Regomy, en le choisissant soigneusement dans la marmite comme s'il voulait lui donner le plus cuit, le plus gros. Et, à son tour, Regomy éclata de rire de résonance un peu diabolique, pendant que Rekala broyait gloutonnement l'œuf encore chaud, il riait jaune, lui, surtout lorsque Regomy lui dit que c'était un œuf de tortue, qui est un aliment interdit en Androy.

    « Allons, prends-en d'autres, va ; le reste, ce sont des œufs de pintade.» Et comme la faim, compagne habituelle des deux hurluberlus, imposait généralement sa volonté, ils se partagèrent ce maigre menu du jour, avec, néanmoins, des pensées éminemment différentes.

     

    Cela ne pouvait continuer ainsi. Impuissants devant leurs actes spontanés irrépressibles qui un jour les mèneraient à une querelle grave - de cela ils étaient conscients - et vu qu'ils s'entendaient fort bien par ailleurs, ils décidèrent de consulter les notables du village qui, prudemment, en référèrent au sorcier, pensant que ces histoires où les ancêtres se mêlaient aux humains le concernaient davantage, lui qui était en contact avec eux en principe !

    - Je peux faire cesser vos bourdes réciproques, mes amis. Pour l'instant vous êtes à égalité, chacun ayant surpris l'autre. Mais pour qu'une bonne entente règne dorénavant, il me faut faire une cérémonie. Je vous rendrai frères de sang, vous qui n'êtes qu'amis, et ainsi vous ne vous nuirez plus l'un à l'autre".

     

    Chacun dut apporter un zébu que la famille céda volontiers pour avoir la paix.

    Que marmonna l’ombiasy, guilleret malgré les sourcils froncés qu'il s'imposait, pendant qu'il incisait les deux poitrines de ses clients rêveurs et qu'il leur fit boire ensuite quelques gouttes de sang l'un à l'autre, nul ne le saura, il termina toutefois en proclamant intelligiblement que « désormais vous êtes frères de sang et tout ce que vous possédez vous appartient en commun ».

     

    Effectivement, impressionnés surtout par ce rite tout nouveau, les deux amis s'entendirent on ne peut mieux, ayant cessé leurs farces désagréables ; et le village avait mangé du bœuf une semaine durant. Devant ces deux faits positifs, ce rite se répandit peu à peu, son influence n'étant que bénéfique.

    D'où l'origine du fatidra, termina le vieil Antandroy qui, avec satisfaction, prit une bonne prise de paraky, dispensateur de bonne humeur.

     

    * Entente (frères de sang)

     

    Louis SZUMSKI

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    Nota : Louis Szumski a écrit "raiketa", corrigé en raketa selon Dave Emilio

     


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