• * Détour

     

    Détour

     (Asamadacanalblog.com)

     

       Et la pluie tomba. Menaçante depuis plusieurs jours, les nuages gris passant bas, maintenant l'air chaud en dessous dans lequel évoluaient les paysans suffoquant bien qu'habitués aux fortes chaleurs.

     

    Ce n'était pas le moment de rechercher l'ombre, les semences de maïs crissant dans les sobika ayant un besoin urgent d'être mises en terre, avant la dislocation des nuages de plus en plus bas et la grande pluie qu'appelait la terre où les poussières montaient en brumes étouffantes sous les pieds des cultivateurs trouant le sol sec, y laissant tomber le mais, grain par grain.

     

       Zelfa n'avait pas suivi la colonne matinale allant aux champs éloignés bien qu'il y fusse intégré au départ, avec sa sobika, sa marmite, son angady, car au détour d'un buisson proche, deux rondes perdrix les regardaient, enviant probablement le maïs transporté.

     

    C'est toujours bon à manger, deux tsipoy , roussâtres de plumes aux côtés cendrés. Il bifurqua. Question de quelques minutes, songea-t-il.

    Hop ! On pose la main dessus. Il arriva à un mètre d'elles, goguenardes, il se baissa prestement, fit : hop ! et sa main gratta du sable, les deux oiseaux ayant détalé sans s'envoler. A quatre pattes il s'avança dans les buissons. Elles, à deux pattes l'attiraient loin de la colonne haletante sous le soleil.

     

    Détour

             

            Ne les voyant jamais s'envoler il supposait qu'elles étaient là, tout près, mais devenant pour lui, au lieu d'un jeu, de             satanées bestioles, le faisant ramper où elles étaient un instant auparavant, ne se mettant que juste hors de portée des doigts  malhabiles à se saisir de ces indociles.

      Si elles ne s'éloignaient pas plus, c'est que leur nid était à proximité et qu'il le vit, avec ses œufs, tachetés de brun, comme de grosses dragées salies par des mouches.

    Il s'épongea, désespérant de prendre les volatiles, jetant un coup d'œil vers les autres qui avaient disparu dans l'horizon poudreux.

     

       Bah ! tant pis, il fait bon ici. Grattant deux bouts de bois, il alluma un feu, déversa son maïs dans la marmite, cassa les œufs dedans et l'eau de sa calebasse ocre se mit à bouillir avec le tout.

    Des cris prolongés des perdrix tintèrent à ses oreilles, plus grinçants qu'harmonieux pendant qu'il mangeait sous l'ombre berceuse d'un jeune kily aux fruits acides.

     

    Perdrix de Madagascar mâle

     

     Zelfa avait les jambes lourdes. Pourquoi ne pas les étendre, et attendre que le soleil de midi s'en aille vers l'Ouest moins brûlant. Il ferait meilleur alors, car malgré les nuages, on devinait l'astre par une luminosité sphérique rendant aveuglant le nuage derrière lequel il était.

     

       Il se réveilla en sursaut, au bruit de sa marmite renversée et des potamochères le dévisageant comme dépités.

    Attirés par l'odeur et le silence ils s'étaient approchés dans les hautes herbes et devant le feu éteint avaient labouré le sol autour à la recherche du maïs présumé enfui.

    Puisqu'ils le sentaient, il y en avait ! Ainsi devaient-ils raisonner, sinon pourquoi ce chahut.

     

     

    Détour

    AgiravecMadagascar.com

     

       De lourdes, les jambes de Zelfa devinrent lestes et il se retrouva dans l'arbre protecteur à cheval sur une branche.

    Les sangliers ne fuyaient pas, ils avaient faim. Et lui, n'avait aucune arme sinon quelle aubaine, ramener une bête au village, cela lui ferait pardonner son absence car confusément il se sentait coupable vis-à-vis de la communauté.

    Pendant que les autres semaient, il avait siesté ! Rien à faire.

    Des « tchttt! » des « brrrmmm !» voire des « allez ouste », en masikoro ne faisaient nullement bouger les sangliers qui grouinaient la terre autour de la marmite, furieusement piétinée à cause de son odeur provocante mais pas du tout nourrissante.

    Quand enfin ils furent convaincus qu'il n'y avait rien à ingurgiter dans les parages, ils s'en furent, alors que la nuit peignait de violet, puis de noir, le paysage bruissant de mille grillons s'éveillant.

     

       Zelfa, de son arbre, descendit. Peu reluisant, l'angady au manche cassé, la marmite fêlée, la sobika à moitié dévorée, la calebasse éventrée.

     

       Chic, rien à transporter, se serait exclamé un autre, dans d'autres conditions, tant il est vrai que les Masikoro aiment avoir les mains libres faisant tout voyager sur la tête des femmes lourdement chargées pendant qu'eux marchaient martialement devant, dents lumineuses souriant à la nature, sauf dans de rares cas comme le semis où chacun portait quelque chose.

     

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    Salvatore Avallone

      Le maïs signifiant quelques mois de subsistance dans l'année ce qui était plus qu'appréciable en brousse.

    Ce que l'on n'apprécia pas, ce fut le retour de Zelfa, rien dans les mains, rien dans les poches, s'il en avait eu.

     

       Ce qu'il n'eut pas, lors de la récolte ; ce fut sa part de maïs et, comme les perdrix, les sangliers ne se laissaient pas prendre avec un grain de riz. Il passa une difficile saison, disputant les tubercules de la forêt aux potamochères, se grillant de grosses chenilles succulentes, mais ne faisant pas le poids dans son estomac toujours affamé, alors qu'une bonne bouillie de maïs ! ha ! ça bourre !

     

       L'année suivante, il suivit scrupuleusement la colonne aux semis. C'est ainsi la vie en brousse, méconnue, ne prêtant pas à la rêverie.

     

    * Détour

     

    Louis Szumski

     


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