• * Afanjaka

    Afanjaka

     

    Il y a bien longtemps de cela, deux clans antandroy se faisaient fréquemment la guerre, là-bas vers Kotoala, à cause d'une mare boueuse dont le droit de propriété n'avait jamais été bien défini.

    Au cours d'un de ces combats, devenus fréquents à la longue, Isony, le fils de Remilo, chef d'un des clans, fut enlevé par le clan adverse, fait prisonnier et enfermé dans une cache au milieu de la forêt piquante d'épines variées.

     De longs mois s'écoulèrent sans heurts, peuplés de réflexions amères ou joyeuses, selon les clans.

    Puis, un beau jour, au cours d'une veillée dominée par une lune pleine et brillante, Remilo apparût soudain, seul au milieu du clan ennemi. Etait-ce provocation ou comble d'audace ?

    Mais Remilo était plein d'humilité ; il voulait seulement palabrer avec le chef Mahabiby, son adversaire, qui tenait toujours son fils prisonnier.

    -  Je suis venu seul pour te prouver que je ne veux plus la guerre et que ma confiance en toi est grande, Mahabiby.

    -  Assieds-toi, Remilo, tu es venu seul ce qui prouve des desseins pacifiques ; mais je vois aussi que toute ta tribu est massée à la lisière du village, ce qui prouve que tu es prudent ; tu es un grand chef, Remilo, que me veux-tu ?

    -  Mahabiby, voilà : ma fille Imbarina est pubère, ton fils Regona est jeune, vaillant, fort et adroit, la mare d'eau qui nous sépare au lieu de nous unir nous maintiendra toujours en état de guerre, bien que voisins, mais voisins ennemis. Je te propose donc, Mahabiby, ma fille Imbarina pour ton fils Regona : la paix régnera dans nos villages et mon fils Isony, que tu me rendras, attendra l'offre d'une de tes filles que tu as nombreuses et belles ; ainsi nous deviendrons puissants, ensemble.

     

    Afanjaka

    FB Griotte

     

    Mahabiby, sans ouvrir la bouche, réfléchissait. Ce que voyant, Remilo renchérit.

    -  Pourquoi continuer à nous détruire et à nous diminuer alors que plus tard, car nous sommes déjà vieux, Mahabiby, bien que forts, nous pourrons dormir côte à côte en paix dans nos tombes, près de la mare, en contemplant nos enfants, les miens, les tiens, qui seront les nôtres ?

     

    Afanjaka

    Dave Fangitse

    Cette offre paraissait alléchante à Mahabiby. Oui, mais alors, qui des deux serait le chef ?

    Cette pensée jaillit tout de suite dans le cerveau de Mahabiby ; réflexion « jeune » de suite contrée par une réflexion « vieille ».

    L'offre était vraiment tentante, car il vieillissait sans rémission, et, à toujours combattre, un jour il pourrait peut-être perdre, alors...? Il se décida :

    - Soit, Remilo, mon fils Regona (celui-ci se trouvait justement là pour assurer la sécurité de son père en cas de besoin, et avait entendu toute la conversation) va aller jusqu'à ton village pour voir ta plus jolie fille que tu promets ; il va s'en assurer d'abord ; il faut qu'il la voie et la touche, et si elle lui plaît, le destin, par nos ancêtres, mettra du miel sur les lames de nos sagaies qui n'attireront plus que des mouches.

    « Tu as entendu, Regona ? Va, mon fils, demande Imba­rina la belle, et ramène-la si elle est à ton goût. »

    Remilo ayant voulu se lever pour accompagner son gendre éventuel, fut maintenu d 'une main ferme sur la large pierre polie où il était assis.

       -  Allons, Remilo, je ne vais quand même pas te laisser partir ainsi, buvons, mangeons, en attendant leur retour.

    Remilo, essayant de cacher son dépit d'avoir été deviné et démasqué, acquiesça bruyamment tout en songeant :

    « Ce Mahabiby m'a eu ! »

    Trop simple aussi, son stratagème : attirer le fils de Mahabiby sous un prétexte quelconque, pour ensuite en faire l'échange contre le sien. Jeu dangereux à bien consi­dérer la chose, car si Mahabiby le retenait prisonnier lui aussi, sa tribu, sans chef, serait définitivement anéantie. Il en eut le frisson.

    -  Bois, Remilo, on croirait que tu as froid.

    Et Mahabiby lui passa une pleine calebasse d'alcool de canne à sucre tout en mâchant à belles dents de la viande cuite et grasse. Remilo en fit autant, se gorgea de toaka, de viande, de racines molles et, du moins physiquement, se sentit plus à l'aise.

    Afanjaka

     

    L'aube était proche, un coq avait déjà chanté, lorsqu'apparut Regona tenant par la main Imbarina, souple et ébahie, sensuelle et lisse comme une sagaie.

    Regona n'avait pas eu de difficultés à la ramener. Quant à la connaître, il l'avait déjà souvent observée au bord de la mare, de l'autre côté, désirable mais inaccessible alors.

    - Ton père nous attend, Imbarina, viens vite.

    La jeune fille avait eu vaguement connaissance des projets de son père, qui avait tout de même prévu l'échec de sa tentative. Ce fut sans hésitation qu'elle suivit Regona, et même avec une certaine fierté ; le fils de la tribu ennemie était si beau !  Son père l'accueillit avec une vive satisfaction, et ses dernières crain­tes s'évanouirent car Imbarina aurait bien pu refuser de suivre Regona.

     

    Afanjaka

    routard.com

    Les derniers coqs ayant chanté, le rose du lever du soleil chassa imperceptiblement les dernières taches violettes de la nuit, la tribu entière se trouva réunie sous le kily central, autour de Mahabiby, Remilo, Imbarina et Regona.

    - Où est mon fils Isony ?

    -  On est parti le chercher, sois patient, Remilo, et soyons sérieux maintenant, car le moment est venu de sceller défi­nitivement cette paix que tu désires tant.

    Et Mahabiby posa ses conditions. Elles étaient dures :

    -  La moitié de tes bêtes iront en dot à Imbarina que mon fils veut bien pour épouse.

    Remilo transpira.

    Mahabiby cracha la boule noire qu'il mâchait depuis le début, pour s'éclaircir la voix, car le mariage de son fils était secondaire par rapport à ce qu'il allait dire.

    -  Remilo, comme tu le disais tout à l'heure, nous sommes vieux, mais encore vigoureux, ce qui recule notre mort. Or, en attendant, il faut vivre et vivre en paix, pour cela il faut non pas deux, mais un chef responsable de la mare ; ce ne peut être que moi, Mahabiby, et tu dois en convenir.

    Remilo était littéralement effondré et gardait le silence. Mahabiby devant ce mutisme poursuivit :

    -  Je tiens ton fils, ta fille, et toi-même tu es mon prisonnier. Si tu refuses, vous deviendrez tous mes escla­ves ; il est préférable pour toi que tu sois un notable respecté chez moi, et puis mon fils ne serait-il pas un peu le tien ? Songe aux petits enfants, à nos petits-enfants.

    Remilo ne put absolument rien tirer des sinuosités de sa cervelle pour s'opposer à quoi que ce soit. Il n'y avait aucune issue ; il fallait accepter ou subir l'esclavage.

    Ainsi se créa la très puissante tribu AFANJAKA dans les environs d'Ambovombe.

     

    Louis SZUMSKI

     


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