• * Les Potiers

     

    Les Potiers

     

       Une fois les "tentes" montées, ils tournèrent le dos à la mer, où des pirogues continuaient à évoluer, et à la hauteur des pots d'échappement regardèrent les automobiles filer, avec une, de temps à autre, qui freinait juste devant les pots de terre installés au bord du trottoir, appelant l'acheteur éventuel, par leurs formes rebondies, pas toujours géométriquement sphériques mais en tout cas originaux par leur artisanalité.

       Ce sont les Vezo de Soalara, qui se permettent le luxe de deux domiciles et, en fait de pêcheurs, quand ils quittent leurs cases, au sud de Tuléar, si leurs filets ne vibrent, ne pèsent que peu, les poissons devenant rares, leurs pirogues n'en sont pas moins pleines, mais de pots contre pots s'entassant dans le fond : cruches, voire des carafons, de terre cuite, au long col sérieux, comme regardant de haut les cruches matrones ventrues les côtoyant, occupant le maxi­mum d'espace sur la pirogue exiguë où les pieds du Vezo virevoltent et se meuvent comme ceux de ballerines sur un fil tendu.

    Ne pas casser les pots, ne pas tomber à l'eau, et ne pas manquer le vent, sinon au lieu de Tuléar le soir, c'est à nouveau Soalara à minuit, quittée à midi.

    Ces Vezo ayant cette chance insigne qu'à midi, le vent de mer, du Sud, pousse la voile droit vers la capitale tuléarienne et, qu'à la nuit, un peu en crabe, la pirogue rentre directement à Soalara, à la voile uniquement, grâce au vent inverse, la pagaie ne servant qu'à donner de grandes claques dans l'eau pour troubler la monotonie de la traversée, et parfois à achever les pots fêlés, ce qui arrivait.

     

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      Insensiblement, de pêcheurs ils devinrent potiers, les habitants de Soalara, alors qu'à l'origine, leur village étant dans les sables avec une falaise blanche dans le dos, ils venaient à Tuléar pour vendre leur poisson, mais aussi pour ramener de l'eau potable à la maison, dans de vastes cruches cuites à cet effet, car à part un peu d'eau saumâtre au fond d'un puits interminable, il n'y avait rien à boire dans les dunes, et la mer, si fraîche, n'était que fraîche au regard et pas désaltérante du tout.

    En étalant leur poisson, leurs cruches reposaient sur le sable humide, le temps de nettoyer la pirogue. Le temps qu'un passant trouve cela décoratif, pour son jardin, prati­que pour maintenir de l'eau presque glacée, si bien qu'outre le poisson, les pots étaient vendus, sollicités tous deux par des femmes pépiantes, parfois croassantes, devant les cru­chons qu'elles appréciaient diversement, qu'elles empor­taient et transformaient en pots de fleurs sous des vérandas tuléaroises.

    La demande ne faiblissant pas, les piroguiers rame­naient de plus en plus de pots, de moins en moins de poissons.

       Quant à leur eau pour boire ils la mettaient tout banale­ment dans des dame-jeannes obtenues au Chinois, le plus souvent achetées pleines, d'où les chants du retour fusant de façon inattendue sur la mer restant calme, où un boutre envasé boudait ces piroguiers emflammés, sa peinture verte s'effritant, pendant que le patron attendait dans son kiosque la grosse marée qui le remettrait à flots, sans chanter, lui, par manque de pot.

     

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    Album Tuléar, Agir avec Madagascar 

    Les poteries s'entassant sur le trottoir, il n'était plus question de retourner quotidiennement à Soalara, la blan­che ne voyant toujours pas les wagonnets de charbon arriver sur les rails qui se rouillaient là, dans le sable au bout d'un quai désert, le gisement houiller de la Sakoa poursuivant son sombre sommeil dans l'arrière-pays.

    Restant plusieurs jours à Tuléar, les piroguiers retour­nent alors leurs embarcations sur la plage, démontent voiles et mâts, remontent le tout en forme de tente indienne sur le terre-plein bordé par le trottoir près du port.

     

    * Les Potiers

     

    Une fois les poteries alignées, ils mâchonnaient des mangues vertes dans l'attente de clients devenant difficiles, exigeant des pêcheurs soalariens devenus potiers, à cause d'eux, qu'ils se perfectionnent comme des porcelainiers chinois, à peu de chose près, alors qu'eux persistaient à maintenir le charme typiquement Vezo à leurs pots rouges et fragiles.

     

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       D'où leur « résidence secondaire » en ville, premier ter­rain de camping, n'ayant pas attendu les promoteurs touris­tiques qui promettent du soleil, ce qui est facile dans le Sud, mais sans offrir des poteries, qui, une fois vendues, voyaient le camp de toile redevenir voiles sur les pirogues s'en allant, ramenant de l'eau vers leur village momentanément déserté où la vie reprenait avec le limon recueilli dans l'Onilahy, rivière voisine, qui se modifiait peu à peu en rondeurs. 

     

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    Louis SZUMSKI 


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