• * Le langoro (famine)

     

    Le langoro

    Suzanne Frère

     

           Lakovatsy chantonnait, tout seul ; autour de lui le village cuisant sous le soleil était étreint par un silence brûlant à peine effleuré par un faible vent chaud et mou se traînant au travers des branches de fantsiholitra. Le sable roux brillait, fumait, le bétail dépérissait, la mer proche ne grondait plus, les rochers noirs séchaient sur le rivage et se fendillaient. Un tout minuscule nuage blanc fuyait très haut dans le ciel, vers le nord, pour ne pas tacher la pureté du bleu sans fin de l'Androy.

     

          Lahirato, sortant son crâne grisonnant à travers les planches disjointes de sa case noire de fumée ancienne se lamenta avec un regard morne vers Lakovatsy, son fils aîné, assis, là-bas sous un adabo aux fruits pourrissants, immangeables, accompagnant sa chanson de ses deux mains tenant des baguettes et tambourinant dans le vide.

    « Il est devenu fou », pensa Lahirato qui cracha difficilement en se raclant la gorge; mais c'est à peine si un peu de mousse vint couler sur son menton saillant, décharné.

    Ses yeux firent le tour des cases éparses semblant désertées. C'était son village où plus rien ne semblait vivre, pas même une plainte qu'il aurait préférée à ce marmonnement sourd de Lakovatsy dont il voyait la peau tendue sur les os, comme lui, comme tous, dans le village.

    Et une nouvelle nuit s'annonça, proche, tandis qu'un papango solitaire planait inlassablement à la recherche d'une proie problématique.

     

     

    Le langoro

     

           Avec l'illusoire fraîcheur du crépuscule, sortirent un à un les membres de la tribu. Les plus vieux, rampant sur les genoux, s'approchaient de Lahirato ; les femmes contemplaient Lakovatsy sans le voir, leurs regards se portant vers l'horizon d'épineux.

           Quelques enfants regardaient avidement dans les marmites vides, d'autres tétaient inutilement des seins plats. Dans des voazavo desséchés, creusés, un peu d'eau saumâtre, trouble, rebutait les plus assoiffés.

           Lahirato tint une fois de plus un kabary d'où sortirait probablement, du moins il l'espérait, quelque conseil céleste.  Une vasia (étoile) pointa, lointaine et glacée, comme indifférente à la terre stérile environnante.

     

    * Le langoro (famine)

     

           Les plus petits du clan Befahitsy gémirent de plus en plus fort, mais c'était seulement de faibles plaintes dont la résonance était décuplée par la nuit qui s'abattait comme une porte qu'on laisse choir, car elle était là la nuit, la nuit où il n'y a rien ; et que faire de la nuit ? Si encore cela pouvait se manger. Mais non, ça n'a pas d'odeur, il n'y a ni sel ni sucre dans l'air.

    Une femme pleura, sanglots secs, et d'autres ne purent se retenir de l'imiter. Lahirato dévisagea ses notables, tous lamentables de maigreur, et leurs yeux disaient : « Fais quelque chose ».

     

    Cette nouvelle nuit s'annonçait pénible pour Lahirato plus que les autres, avec son fils endormi là-bas, comme repu, sous l'adabo sombre, devenu fou sans doute.

    Lahirato se décida.

    « Dites aux femmes de préparer du feu, de mettre de l'eau dans les marmites, je reviens de suite. »

    Et il partit avec une vieille natte. Il ne tarda guère à revenir, ployant sous le poids de ce sac improvisé semblant plein de l'on ne savait quel légume.

    Les pleurs, les gémissements cessèrent immédiatement et les langues se mirent à marcher ; mais Lahirato ordonna sévèrement aux femmes et aux enfants de réintégrer les cases. Il les appellerait tous dès la cuisson terminée, en frappant plusieurs fois sur le langoro (tambour) dont le son ne manquerait pas de réveiller ceux que le sommeil aurait saisi.

     

    Ce fut au milieu de murmures presque heureux que le clan réintégra les cases. Enfin on allait manger !

    Un calme plein d'attente s'installa dans le village pendant que Lahirato, aidé de quelques notables, déversait le contenu de la natte dans les différentes marmites où l'eau bouillait déjà ; mais ce n'étaient que des cailloux, des cailloux ronds et luisants.

    Un résultat momentané était du moins acquis : faire patienter ces affamés. Après, la nuit porterait conseil sans doute. Aumatinil faudrait trouver autre chose pourque tous ne perdent pas l'esprit, comme Lakovatsy.

     

    Le langoro (famine)

    Ara Androy

       Lakovatsy ! Lahirato s'en approcha lentement. La bouche entrouverte laissait voir les dents blanches, brillantes. Lahirato s'accroupit ; une odeur de bœuf bouilli parvint à ses narines ; quelques poils noirs étaient collés aux lèvres charnues de Lakovatsy ; des poils épais, ras comme ceux d'un zébu. Les yeux de Lahirato exprimèrent un sentiment indéfinissable où se mêlaient la surprise, la colère, la ruse. Il repartit sans un mot vers sa case. En tâtonnant il chercha en vain le langoro suspendu au faîte. Sa main, ramenée vide, lui confirma ce que son esprit avait déjà imaginé, et il comprit alors que son fils sans le savoir l'avait aidé à sauver la face.

     

    A l'aube, il dirait au village réuni et affamé que faute de langoro il n'avait pu donner le signal pour venir manger et que les bageda s'étaient transformés en pierre à force de trop cuire.

     

    * Le langoro (famine)

    Dave Fangitse

       Mais les ancêtres ne pouvaient les abandonner. Il réunit les notables et son fils aîné qui semblait être revenu à la raison. Celui-ci fut désigné pour aller demander secours au chef-lieu lointain ; il était le seul en état de marcher si loin, car n'était-il pas rassasié, lui qui avait mangé la peau du langoro.

     

     Louis SZUMSKI

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    Note de l'auteur. Cela se passait lors d'une famine qui s'abattit sur l'Androy.

    Le clan prit ensuite le nom de «Mahandrovato »: littéralement, « cuire des pierres ».

     

     


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