• * L'Oeuf

       

    * L'Oeuf

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      Entre la mer et la falaise édentée, parmi de hautes herbes ondulantes se profilaient quelues toitures de basses cases où il ne fallait être i trop grand ni trop gros si on avait la prétention d'y pénétrer.

    C'était Tsivaha, village blotti dans la solitude, où des Antandroy étonnés regardaient venir des étrangers à leur clan minuscule, planteur de mil tant que faire se peut et ramasseur de fruits de mer à marée basse, car la pirogue, la haute mer, leur étaient interdites vu le sel contenu qu'un sorcier avait décrété sacré, parce que non potable, réservée au Zanahary qui l'avait voulue ainsi, leur concédant l'eau douce qui comparativement à l'immensité saline, était comme une aiguille dans une meule de foin, à moins d'un cyclone dévastateur, rare à proximité du Cap Ste-Marie.

    La pluie était une grande dame inconnue qui, lorsqu'elle venait de l'océan sur un carrosse de nuages pelucheux, ceux-ci ne s'arrêtaient jamais sur la côte et ne pleuraient qu'une fois fort à l'intérieur des terres, lorsqu'ils réalisaient qu'ils ne reverraient plus leur mer qui les avait fait naître.

      Comme les récipients étaient fragiles, poreux, façonnés dans des melons d'eau, que la nature faisait surgir au plus fort de la sécheresse, ceux-ci, une fois évidés, séchés, servaient à recueillir l'eau, la rosée le plus souvent.

     Ainsi, dans l'une des cases, celle du chef, aux traits burinés, le regard immuablement songeur comme s'il se remémorait les luttes de son élan, jadis, qui, affaibli fut rejeté à la mer qui, généreuse, leur offrit une langue de terre entre elle et la falaise, bande de sable arrivant à verdoyer et nourrir le groupe replié, résigné sous le poids du destin, isolé des autres clans qui possédaient en haut de la falaise des espaces moins limités où la cavalcade des zébus, la nuit, résonnait jusqu'au bas de l'étroite plaine, couvrant la rumeur de la mer, apeurant le hameau, écoutant ce grondement d'orage sous un ciel étoile, drapé de taches laiteuses alors que de lait tout court, ils avaient tant besoin dans leurs récipients où un peu d'eau clapotait lorsqu'on les agitait précieusement pour ouïr le doux son qui leur indiquait qu 'il y en avait encore.

      Chez le chef, lui seul s'autorisait à manipuler son récipient, car, s'il était le plus grand, il était aussi le plus fragile. Comme un énorme œuf à la coquille pâle tachée de points roux.

      Quand soudain apparurent ces Antandroy du « haut » qui recherchaient le long de la côte une pirogue que la mer avait retournée, eux qui la défiaient, ainsi que le sorcier satisfait de leur effraction punie, et qui avaient soif d'où leur présence à Tsivaha où, même s'il ne reste que deux gouttes d'eau, l'une était pour les visiteurs, plus dure étant la nature, plus hospitaliers elle rendait les êtres.

      Heureusement, le chef, avec sa grande « cruche », put satisfaire tout le monde. Eau pourléchée comme des gouttes d'or, afin d'en rien perdre, ne brillait-elle pas encore ce matin, en rosée glacée sur les ployantes herbes endiamantées!

     L'un des Antandroy d'en haut s'exclama devant le récipient du chef:

    -        Œuf géant, c'est formidable, tu possèdes une fortune !

    -        Oui, je sais, je possède le plus beau récipient du village !

    -        Non, c'est pas ça, loin là-bas, des gens achètent cela très cher !

    -        Et dans quoi boirai-je ? Chez les autres, moi, le chef ? Non ! impossible, je ne serai plus le chef alors ! Et notre clan sans chef n'aurait plus qu'à disparaître. Bois encore une gorgée si tu le veux, mais oublie mon pot, c'est la vie du village, c'est notre ultime réserve d'eau !

    -        Mais, n'en as-tu pas d'autres !

    -        Il y en a plein la plage, mais ils sont cassés, si c'est la coque qu'ils veulent, y a qu'à ramasser, y a juste à se baisser.

    -        Je ne crois pas, je pense qu'ils veulent l'œuf entier.

    -        Ecoute, dit alors le chef, repasse un peu plus tard, il est possible que je t'en trouve un.

    -        Entendu, tu verras, tu feras une bonne affaire.

    -        Toi aussi.

      C'était un œuf d'Aepyornis qu'il détenait, le chef, volatile plus massif que l'autruche avec des pattes faites pour courir et des ailes rognées l'empêchant de voler, selon les dires, car depuis les quinze, seizième siècles, il ne semble pas avoir eu de traces vivantes de l'animal qui manifestement hanta la côte androyenne vu la foison de coquilles brisées jonchant les plages et parfois la découverte providentielle d'un œuf, enfoui sous le sable.

      Tout Tsivaha était sur le rivage, sur ordre du chef.

     Creuser le littoral était folie.

     Il faisait ramasser tous les débris d'œufs d'Aepyornis ;  lorsqu'il jugea le monceau assez important, au milieu du village, il mit les femmes au travail à la taille des coquilles pour qu'elles s'encastrent, s'ajustent. II fit bouillir une grosse quantité de mil, puis le modela, à la dimension de son œuf-pot, les femmes s'affairèrent autour, y appliquant les morceaux de coques.

     

    * L'Oeuf

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      Elles mosaïquaient tant la boule de mil collante que les jointures devenaient difficiles à percevoir. A l'aube, l'œuf se trouva reconstitué. Il fit piler de la roche calcaire de la falaise et badigeonna tout l'œuf avec, lui donnant une apparence de pondu du jour.

      Il l'avait fait sans arrière-pensée de tromperie. L'autre voulait un œuf comme lui ? C'est tout. Il perdait plusieurs rations de mil dans l'affaire mais si l'acquéreur ne revient pas les mains vides, il remplacerait le mil par du maïs acheté avec précaution.

     Tsivaha se replongea dans sa solitude bienheureuse en se gavant de maïs.

      Là-haut, l’Antandroy à l'œuf reçut un accueil plutôt mitigé ! Avec le transport, et le mil se déssechant à l'intérieur, les fragments de coquille se détachaient un à un.

     « Bon ! ça te fera toujours plusieurs jours de mil à manger hein ! dit l'acheteur se croyant trompé.

      L'évolué omettait de se mettre à la portée de l'autochtone et ainsi, des malentendus, car pour le faiseur comme pour le vendeur d'œuf ce n'était pas tellement l'appât de gain qui les avait fait agir.

      Le chef de Tsivaha croyait faire plaisir à son Antandroy visiteur, lequel croyait faire plaisir à son acheteur lequel n'était que dépité de toute cette gentillesse.

    « Oui, c'est juste, c'est ça, heureusement que nous avons un chef comme Fanindria », qui, lui, enchaîna judicieusement par le sacrifice d'un bœuf pour clore le débat.

    C'est ainsi que Famojea rentra dans le rang, riant jaune

    Mais devant une grasse lanière de zébu bouilli, ses dents mastiquèrent joyeusement comme le reste de l'assistance et rien de tel qu'un ventre plein pour diluer les vanités.

     

    L'Oeuf

    Abracadagascar 

    Louis SZUMSKI


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