• * Après

     

    * Après

    macp.gov.mg

     

          Foheky est là, accroupie, regardant se consumer la case d'où s'échappent des cancrelats agiles dans leur affolement, que suivent des lézards tombant du toit en flammes, la queue ou une patte plus ou moins grillée.

     

         C'était la case du chef Fanehany, pourtant si puissant apparemment, qu'une mauvaise toux avait emporté par une nuit sans joie où il expectorait sous la lune frigide, pendant qu'un vilain chien au poil noir, sentant la mort s'approcher, aboyait lugubrement après lui.

     

         Les dernières flammes font danser les cornes de zébus sur les tombeaux blancs qui environnent le hameau, comme si les ancêtres, sous les pierres entassées, se remuaient bruyamment pour saluer l'arrivée de Fanehany dans leur royaume des ombres - en attendant que Zanahary leur ouvre la porte promise pour occuper des cases indestructibles, sculptées, toujours pleines de calebasses d'habobo dont ils se délecteront : le lait caillé, la nourriture-friandise préférée de l'Antandroy, mais hélas souvent rationnée ici-bas.

     

    * Après

    Jean Joseph Andriamanalintsoa

     

      Les maigres pâturages que les sécheresses rasent rendent flasques les mamelles des vaches titubantes sous le soleil dont les rayons semblent projeter les mouches plates sur leur pelage râpé, frappé à coups de queue, de museau et, en dernier lieu, frotté contre les haies d'épines ; mais les mouches volètent pendant ces périodes critiques et se reposent, le calme une fois revenu, suçant de plus belle, en les piquant, les bovidés médusés.

     

         Dans ses lamentations matinales, pendant que la case devenait peu à peu un tas de braises, brûlée selon la coutume après un décès, Foheky perdit son chapeau rond dans la vivacité de ses gestes, laissant apparaître un crâne rasé, signe de deuil.

    Elle demande aide et protection à son mari car s'il lui a laissé un important troupeau ruminant, bêlant, « le fils est trop jeune pour veiller efficacement aux biens que je veux te conserver, augmenter ».

    Et elle pleure à nouveau, tant qu'elle peut, cela étant un exercice coutumier lorsqu'il y a un mort : il y a toujours un groupe de pleureuses dont les meilleures, les plus larmoyantes, étaient aussi récompensées par la famille du défunt par une bonne part de viande ou un morceau de tissu coloré.

     

       Mais dans le cas présent, elle était la veuve et il se devait qu'elle soit plus chagrinée que les « professionnelles ».

    Cependant que les notables s'embrouillaient dans leurs palabres pour choisir un nouveau chef de village, n'en trouvant aucun aussi riche que celui qui venait de les quitter si brusquement, alors qu'on lui avait donné longue vie.

    Fanera, le fils, trayait un peu de lait, épuisé par les longues veilles de l'enterrement.

    L'aube pâlissante fit briller la rosée en millier de perles éphémères, fleurissant un instant de diamants les agaves rigides.

    La complainte de Foheky s'atténuait, exténuée qu'elle était et sachant que Zanahary, influant les notables, allait statuer sur son sort de veuve trop jeune et trop riche.

     

    * Après

    Rychianni Ratovo FB Madagasyart 2019

     

         Pendant que le soleil redressait les ombres des boqueteaux rabougris où les chevreaux s'abritaient tant bien que mal du feu solaire, l'assemblée se dispersa, ayant décidé du sacrifice d'un autre zébu pour la nuit à venir, en vue des mesures à prendre, qui s'avéraient plus ardues que prévues.

    C'était le vieil ombiasy qui avait tranché, arguant qu'on ne pouvait laisser la veuve du chef décédé ainsi, plus riche que n'importe lequel d'entre eux qui deviendrait chef à son tour. Fanehany avait su soigner, gérer son bien, son troupeau.

     

        Le sorcier, en contact avec le surnaturel, avec Zanahary qui en toute chose est présent dans l'esprit antandroy pour lequel rien ne se produit sans son assentiment, pour lequel aussi on sacrifie zébu sur zébu chaque fois que l'on désire qu'il intervienne favorablement, fait ressembler l'Androy à une immense chapelle à ciel ouvert dans laquelle tous invoquent, implorent en passant par lui, le sorcier, qui se prend parfois pour le Zanahary en personne.

     

       Ce soir serait à nouveau sacrifié un bœuf afin que les palabres nocturnes aient une issue favorable, avait-il dit.

    Et l'on ressort les grosses marmites, et crépite le bois sec, pendant que le sorcier convoque Foheky, consciente que quelque chose va se passer qui la concerne directement.

    Le bœuf, bien gras, bien cuit, fut englouti, et fusèrent les rots de satisfaction - satisfaction double, car la décision retenue libérait les notables d'un gros poids, évitant les dissensions qui auraient pu naître s'ils avaient élu eux-mêmes leur nouveau chef, chacun ayant un choix qui n'était pas forcément le même.

     

       Foheky, digne, souveraine, belle malgré ses cheveux tondus, la jeunesse et la douleur lui ayant gravé un visage presque hiératique, écouta la sentence sous le tamarinier feuillu.

    L'ombiasy crachota et dit : « Foheky, notre chef Fanehany, en partant, t'a laissée seule avec ton fils trop frêle, mais aussi par ses biens t'a laissée la plus riche parmi nous tous, la plus riche de tous les villages des clairières d'alentour ; c'est pourquoi il est juste que tu restes la femme du chef du village. C'est-à-dire que tu le redeviendras par ta propre volonté : le moment venu, tu choisiras ton nouveau mari qui deviendra de ce fait notre chef. D'ici là, je régenterai le village. Ainsi en a décidé Fanehany qui t'avait appelée pour être épouse de chef : épouse de chef tu resteras.»

     

       Un murmure d'approbation courut sous le kily touffu où tout le village était réuni. Foheky, flattée et généreuse, pour marquer son assentiment et sa nouvelle autorité, ordonna que deux zébus - elle en avait tant - seraient sacrifiés pour fêter cet acte que, nul doute, Fanehany avait inspiré.

     

       L'on parla fort longtemps à la ronde des agapes qui prolongèrent le décès de Fanehany déjà fastueusement honoré ; au point qu'une coutume s'établit au centre d'Ambovombe : lorsque quelqu'un de bien rembourré, dodu, évoluait sur la place du marché, l'on disait : " il est du village de Fanehany".

     

     

    * Après

    Suzanne Frère

    Louis SZUMSKI

     


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